2. 3. QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR LE SYSTÈME POLITIQUE DES DING ORIENTAUX

D’après les témoignages coloniaux des missionnaires 1 et des administrateurs, complétés par les observations opérées sur terrain au cours du 20e siècle, il apparaît que, sur l’ensemble du territoire des Ding orientaux, entre la Loange et la Pio-Pio, il ait existé plusieurs principautés dont les chefs se seraient targués de porter le titre de Munken. Nous ne savons pas si ces principautés que nous avions, ailleurs, qualifiées de « chefferies royales » 2 , étaient toutes organisées selon le modèle politique que nous venons de décrire et si toutes étaient contrôlées par le clan Ntshum ? Nous avons seulement la certitude que ces constructions politiques étaient bâties autour d’une cour et d’une capitale ( Musiang, Musenge) vers lesquelles étaient dirigées les dépouilles des léopards et d’autres animaux nobles.

Tableau N°20 Quelques principautés
Capitale de Muken Résidence de Nkumukoor Clan régnant
Nsiamusiang (Kapia) Kibwadu Ntshum
Nsong-Ntor Malung idem
Bankumuna Nkur War-War idem
Bulumbu ? ?
Mpwun Laken a kpa ? Ntshum
Kintswa ? ?
Musenge Lumaya Mbwem Ntshum? Mbel?
Kalanganda Munken ? Mbel?

(Source : nos enqêtes sur terrain)

Nous ignorons à quelle autorité politique étaient soumis, avant la colonisation, les Ding orientaux de la région de Mwilambongo en amont de la Lubwe. Les Mbuun de la région de Laba-Lakas estiment que leur chef portait le titre de Munken (Onken en langue mbuun). Jusqu’où allait l’autorité du type Munken ? D’autres questions demeurent aussi sans réponse. Les Ding orientaux ont-ils toujours été organisés autour de plusieurs cours princières ou auraient-ils, autrefois, constitué un seul ensemble qui se serait désagrégé par le fait de l’histoire interne ou de la colonisation? Les principautés, que nous venons d’énumérer étaient-elles indépendantes les unes des autres ? Y avait-il une sorte de hiérarchie entre-elles comme semblent l’indiquer les traditions orales qui considèrent la cour de Kapia comme l’aînée 1  ? Quelle aurait été l’histoire de chacune de ces entités politiques ? Toutes ces interrogations renvoient à l’une des énigmes non encore résolues de l’histoire de la région : l’origine du système politique des Ding orientaux.

Remarquons, au regard des informations actuellement disponibles, que ce système n’est pas une exception. Il aurait, par le passé, été présent chez les voisins immédiats des Ding orientaux.

Il semble bien que les Mbuun aient connu, à une époque encore à déterminer, une organisation similaire à celle des Ding orientaux. Tel est, du moins, l’enseignement que nous pouvons tirer de la toponymie qui nous révèle l’existence des capitales portant le nom de « Mosenge ou Musenge » : Musenge Mputu, Musenge Munene, Punkulu Musenge, Ifwanzondo Musenge, etc.

En 1922, le jésuite Struyf signalait que les Mbuun d’Ifwanzondo faisaient sécher leur chef en attendant de l’enterrer avec au moins neuf esclaves 2 . Telle était aussi la pratique, nous l’avons indiqué, dans les principautés des Ding orientaux. Le fumage du cadavre du prince serait encore pratiqué aujourd’hui chez les Mbuun du secteur Kanga (paroisse de Lashim) 3 . Une puissante principauté aurait émergé ici, avec comme siège, le village Akup Okwets. Les traditions plus anciennes confirment l’existence des institutions de type royal chez les Mbuun. Selon une version des traditions Kuba, Shyaam Mbul a Ngoong aurait appris, chez les Mbuun, à « bâtir une capitale » et il aurait aussi rapporté certaines institutions de la royauté 1 . Awak signale, qu'à l'origine, les Mbuun avaient un seul chef : Angung 2 . Les trois grands chefs Mbuun les plus prestigieux aujourd'hui, à savoir, Tshum Angung, Ngaal a Lwel et Ngaal a Mpang se disent frères et ils appartiennent à un même clan : « Bis Entshum ». Ce clan mbuun (Bis Entshum) serait le même nommé « Ntshum » par Ding orientaux nomment .

Ce même clan, désigné par le nom de « Ntshien » chez les Ding de Kindwa Tshitshiri, est à l’origine de la principauté de Kumukari. Les traditions de cette entité politique sont formelles. Le clan régnant provient de la région de « Mulasa » (Lubwe) chez les Ding orientaux. Pour Mertens le « Kumukari » est une déformation de « Kum » (chef) et « Mukar » (femme) ; il s’agit de la reine-mère (Nkumukoor) dont nous avons parlé chez les Ding orientaux. L’actuel groupement Tshitshiri était donc, avant les perturbations coloniales, fondé sur un pouvoir bipolaire où le prince résidait à Kindwa et sa sœur, la reine-mère, dans l’actuel village de Kumukari.

L’organisation politique des Ngwi, étudiée en détail par Ndaywel, est, pour l’essentiel, similaire à celle des Ding orientaux. D’après une carte dressée par Vansina, les principautés des Ngwi s’étalaient de la frontière avec les Ding orientaux sur la rive gauche du Kasaï jusqu’à la région de Kwamouth dans l’actuel Congo Brazzaville.

À l’Est du pays des Ding orientaux, les Wongo semblent avoir aussi constitué une principauté autour d’une capitale située à l’actuel village Musenge Bawongo.

Les Lele du Kasaï reconnaissent l’autorité d’un seul clan princier, celui des Bashi Tundu. Ils se réfèrent aussi à une capitale royale, « Mushenge ».

Quant aux Kuba, leur système politique semble être l’achèvement de toutes les organisations politiques que nous venons d’évoquer. Une interprétation réfléchie des traditions historiques suggère que la révolution opérée par le roi Shyaam Mbul a Ngoong aurait consisté à fédérer autour d’une seule et même autorité royale des principautés construites sur le modèle de celles des Ding orientaux et jusque-là indépendantes les unes les autres. Chez Kuba, comme chez les Ding, la royauté est assurée par un seul clan, le clan « Matoon » 1 . La capitale est aussi désignée par le toponyme « Mushenge ».

D’après toutes les études récentes, ce modèle politique qui s’est développé chez les Ding orientaux et leurs voisins, serait une innovation apportée par les Mongo du Sud. Cette culture politique se serait diffusée à partir d’un foyer ancien localisé aux alentours des lacs Maï-Ndombe et Tumba au sud de l’Équateur. Elle est actualisée, entre autres, par l’emploi du titre politique Nkumu ( Nkum, Kum) qui est d’usage chez plusieurs populations du Bas-Kasaï dont les Ding orientaux 2 . Cette culture politique est aussi caractérisée par les noms dérivés de « Bosenge » donnés au site des capitales (Nsheng, mosenge, musenge, musiang, moseng mushie, etc.). Les principautés développées chez les Ding orientaux et leurs voisins seraient donc dans la même ligne que celles des Mongo méridionaux 3 , notamment la cour d’Ilanga chez les Bolia, d’Iyeli chez les Ntomba, d’Etoti chez les Nsengele, d’Etoci chez les Ohindo et les Ndengese, de Longomo chez les Iyadjima, d’Engoyela chez les Isolu, de Veelo chez les Ikolombe et de Djala chez les Dia 4 . Le système des Ding orientaux aurait, à ne pas s’en douter, subi les adaptations locales qu’il faudrait, dans une étude plus approfondie, déceler.

Notes
1.

MERTENS écrit : « Mukene est le nom d’un grand chef, qui règne sur une partie de ces gens, son village est Mbel, une dizaine d’heures au Sud d’Ipamu. On dit qu’il a un collègue dans l’entre Lubwe-Lwange », voir Notes adressées par MERTENS au docteur MAES, s.d., M.R A.C., Dossier ethnographique, N° 797, p. 2.

2.

NKAY, Histoire des Ding…, op.cit., p. 93.

1.

Les informateurs suivants : Mpia, Kumakese, Bilukwa, Ndonda et Yuum, ont soutenu la version selon laquelle dans tous les pays Ding, il n'y avait jadis qu'un seul porteur du titre Munken.

2.

STRUYF, « Mœurs et coutumes »…, op. cit., p.

3.

Information de l'abbé Iwala René, curé de Lashim, Idiofa, le 14 septembre 2003.

1.

VANSINA, J., The Children of Woot. A history of the Kuba Peoples, The University of Wisconsin press, Dawson, 1978, p. 59.

2.

AWAK, Histoire de l'évolution….p. 115 - 116.

1.

VANSINA, J., Les tribus Ba-Kuba et les peuplades apparentées, p. 23.

2.

VANSINA, « Probing… », op. cit., p. 354.

3.

L’existence des rapports politiques entre les Mongo méridionaux et les Ding avait déjà été signalé par Van der KERKEN. Il estime que « Les populations bantoues de Gand Groupe Ethnique Mongo, originaires du Nord-Est, après avoir occupé le district de la Tshuapa, ont occupé la totalité du district du lac Léopold II (sauf la région Sud-Ouest : pays des Baboma-Badia-Basakata-Batele-Bobai-Bayanzi) les régions Nord du district du Kasaï (Territoire de Dekese) et du Sankuru (Territoires occupés par les Bakela, les Basongo-Meno, les Wankutshu, les Bahamba-Batetela). Les Mongo du Sud ont donné des chefs et des aristocratie aux Badia, aux Bashilele et aux Bakuba. Les Boshongo de Dekese (Mongo du Sud) ont, encore aujourd’hui, comme sujets, sur les territoires conquis par eux, des Badinga, des Bashilele et des Bagongo. » (Van der KERKEN, L’Ethnie Mongo, Vol. I, IRCB, Bruxelles, 1944, p. 203.); KABONA suggère aussi que les Mongo se sont mêlés à l’histoire des Ding : « L’histoire des Ding laisse donc entrevoir l’existence d’un noyau d’origine occidentale qui se serait enrichi tour à tour des apports d’origine mongo à partir de l’Est et d’origine mbuun à partir du sud » (KABONA, M.E., « Une triple anthroponymie politique chez les Ding (Bas-Kasaï). Jalons pour une synthèse historique » in Pistes et Recherches, vol. 3, n° 1, 1988, p. 38.)

4.

Ndaywel, Histoire générale…, op. cit., p.170.