1. 1. LE MONDE DE JOUR OU MONDE VISIBLE

Dans la tradition ancestrale, la face visible du monde est celle que notre simple regard voit. Elle se prête à l’observation et à toutes les organisations. Elle est considérée comme le « dehors » des choses, et chaque chose a son « dedans », fugitif à notre regard. Cette face visible est qualifiée, d’après la typologie du Jésuite Camerounais M. Hebga de monde de jou r 1 . Ce monde est celui de la quotidienneté humaine, de ses désirs, de ses appétits et de ses envies. Il est donc, à ce titre le lieu de l’« être humain » 2 , l’espace géographique de la liberté et de l’historicité. C’est la rampe où se joue entre la naissance et la mort, le drame de l’existence humaine.

Ce monde visible comprend d’abord les hommes vivants qui naissent un jour, parcourent, chacun à sa façon, un certain temps de vie et enfin meurent d’une mort naturelle ou provoquée par d’autres hommes. Ces hommes organisent leur existence en vivant en communauté familiale, clanique, villageoise, etc., et se laissent conduire par des « chefs » ou d’autres dignitaires reconnus.

Ensuite, il y a la terre - les Ding orientaux la nomment « men » -.avec ses surfaces planes, ses vallées, ses montagnes, ses collines, ses rochers de la surface et du sous-sol , ses grottes, etc. Cet élément solide supporte les êtres vivants et leurs ouvrages. Sur sa surface, occupé par les hommes et les animaux, poussent les végétaux . Cette terre est le lieu où coulent et stagnent aussi les eaux qui ont dans leur ventre toute la gent halieutique.

Mais la terre est avant tout la mère nourricière dont on tire la subsistance, c’est elle qui donne à « manger ». L’homme se l’approprie par des processus historiques et juridiques complexes, pour des usages diversifiés. Cette appropriation se traduit par la définition des frontières, les noms attribués à chaque portion de terre, les règles communautaires de l’usage des ressources et toutes les techniques de sa mise en valeur (chasse, pêche, élevage, agriculture).

Le monde visible comprend enfin la voûte céleste (duhu), sur laquelle apparaissent le soleil, la lune, les étoiles et parfois l’arc-en-ciel (muko-mvl). Dans l’espace entre la voûte céleste et la terre circule l’air invisible à l’œil nu mais perceptible par ses effets lorsqu’il se transforme en tempête ou en ouragan. Les oiseaux et plusieurs autres bestioles volent aussi dans cet espace.

Les Ding orientaux croient que tous ces éléments composant le monde visible entretiennent entre eux des sortes de liens de solidarité, fondement de l’équilibre et de l’harmonie cosmique . Chaque élément a au-dedans de lui un principe (le qualifiera-t-on d’esprit ou d’âme ? Nous ne saurons le dire.) qui le maintient dans l’existence et le met en rapport avec les autres êtres :

« Regardes, dit un vieux sage, pourquoi le fou du village devient-il loquace quand apparaît la lune ? Pourquoi le petit insecte « bitum », meurt-il avec la disparition de la lune et ressuscite-t-il avec son apparition » 1 ?

Selon la cosmogonie locale, il existerait un principe intérieur, une sorte de double, qui anime tous les êtres et les maintient en vie. Par le biais de ce principe le monde visible se tient en équilibre. Les règles de fonctionnement de ce principe sont contenues dans la sagesse séculaire des anciens dont les mânes sont les garants. Il faut recourir à eux chaque fois que l’harmonie est menacée et l’équilibre au bord de la rupture. Ce dedans des choses, invisible à nos yeux, relève du monde de nuitqu’il nous faut à présent décrire.

Notes
1.

HEBGA, M., Sorcellerie. Chimère dangereuse ?, INADES, Abidjan, 1980, pp.32-36.

2.

Lire BERQUE, A., Être humain sur la terre. Principes d’éthique de l’écoumène, Gallimard, Paris, 1996.

1.

Information obtenue de Bilukwa Denis du village Ngyenkung en octobre 1998. « Bitum » est un insecte de la dimension d’un crabe d’eau douce. Il hiberne avec la disparition de la lune et revit à son apparition. Il est souvent associé à la fabrication de certainscharmes et à la préparation de potions médicamenteuses.