3. LES GÉNIES ET LES ESPRITS

D’après M. Hebga, le langage populaire décrit les génies sous des traits humains et leur attribue des pouvoirs bénéfiques ou maléfiques dont ils se servent en intervenant dans le monde visible 1 . Des auteurs ont tenté de distinguer parmi les génies des divinités inférieures au Dieu créateur, et des forces naturelles personnifiées. Il n’est pas très facile de saisir le fil conducteur qui les a guidés dans leur classification. Plus modestement, Froelich divise les génies en deux groupes principaux. Il y aurait d’une part « des êtres semi-mythologiques, semi-divins, lutins et gnomes, maîtres de la terre et des minerais, habitants des arbres et des grottes ; de forme humaine ou animale, parfois monstre fabuleux, nains, géants, ogres ou animaux mythiques, et d’autre part des esprits locaux, serviteurs, habitants de la terre comme les humains, invisibles mais bien plus puissants que les précédents… » 2

Il n’existe pas encore un inventaire systématique des génies et des esprits auxquels les Ding orientaux croyaient. Une telle étude aurait permis d’ébaucher une classification suivant le modèle proposé par Froelich. Les traditions Ding font une différence entre les êtres fabuleux, les esprits de la nature et les esprits des ancêtres.

Parmi les êtres fabuleux, nous classons d’abord les génies d’eau. Selon la tradition la plus ancienne, les Ding attribuent à un être mi-humain et mi-serpent la paternité et l’autorité sur toute la gent halieutique. Selon la pensée de l'époque, cet être, nommé « Ntwa », habite le fond de la grande rivière, nzankul (le Kasaï) ; il remonte périodiquement les affluents et même les petits ruisseaux de la région pour apporter des poissons. Les témoins affirment que chaque montée constitue un événement spectaculaire perceptible même par le profane. Après chacun de ses passages, les pêches deviennent fructueuses.

Le terme « ntwa » désigne aussi un serpent magique, propriété de certains sorciers qui le gardent aux sources des ruisseaux ou sur un arbre à la place du village. Ce génie malfaisant se nourrit du sang humain et il peut nuire à quiconque le rencontre sans charme protecteur 3 .

La croyance à l’existence de la sirène ou dame d’eauappelée Elima ou Mamy wata par les autochtones semble avoir supplanté la foi au « Ntwa ». Il s’agit d’un être anthropomorphe présentant des formes plutôt féminines : corps longiforme, chevelure longue et frisée tombant jusqu’à terre. C’est une dame blanche à tête humaine et toute la partie inférieure est un poisson 1 . Elle se promène dans l’eau entre les poissons et certains pêcheurs reconnaissent sa présence par l’abondance de leur prises. Les riverains du Kasaï racontent encore aujourd'hui de nombreuses histoires sur cette dame d'eau :

- Elle séduit certains hommes et contracte des mariages avec eux. Les personnes engagées dans cette union, promettent la fidélité absolue, car la dame d'eau punit l'infidélité par la mort. C'est pour cette raison que les célibataires endurcis sont soupçonnés de s'être mariés avec Mamy wata.

- Certains personnes prétendent avoir surpris la dame d'eau sur les berges du Kasaï en train de se mirer et de soigner sa chevelure. Lorsqu’elle est surprise à l’improviste, elle se dérobe en plongeant dans l’eau, abandonnant derrière elle ses objets de toilette, notamment son miroir, son peigne et parfois ses flacons de parfum. Ces objets sont des talismans et ils portent bonheur à celui qui les ramasse.

- La sirène (Mamy wata) est une dame blanche. Sa résidence est une ville moderne située sous le fleuve et elle est invisible par les non-initiés. C'est dans cet agglomération invisible où sont produits des machines et toutes sortes de merveilles techniques que les Blancs possèdent. Les personnes qui se noient et dont les corps ne sont pas retrouvés sont des victimes de la dame d'eau. Celle-ci les capture pour en faire ses « travailleurs ».

- Les missionnaires connaissent les secrets de la dame d'eau. Ils s'entretiennent régulièrement avec elle et il peut prévenir ses ouailles de l'époque où May wata « recrute ses travailleurs » 2 .

Les Ding orientaux croient aussi à l'existence de sirènes habitant les marais ; ils les appellent « Mukwanzoo ». Les femmes disent rencontrer ces êtres lors de leurs pêches dans les marais du Kasaï, de la Lubwe, de la Loange ou de la Pio-Pio 3 .

Il existe plusieurs esprits de la nature, comme le « nain à la chevelure abondante » (kilik), le « Matapor », le « Nzuan ou Nkiel » (esprit incarné par le chat), etc., qui peuplent la forêt 4 . Les uns apportent la bonne chance, d’autres la mauvaise. Ainsi par exemple, lors d’une partie de chasse, la rencontre d’un « kilik » est un mauvais présage. Dans ce cas, les chasseurs arrêtent leur activité et retournent au village. Dans les croyances des Ding orientaux, certaines personnes peuvent dompter ces esprits et les utiliser pour le bien comme pour le mal.

Les esprits des morts habitent les cimetières, les sources des cours d’eau, les vallées impénétrables et les repaires (mabiang). Les bons esprits (Mbl ngyieb ) veillent sur les vivants qui les gratifient d'offrandes (nourriture, libation, etc.) ; Les mauvais portent malheur, il s’agit notamment « Munga nsib » (esprit errant) et de « Munga mbong » (esprit muni des cornes).

Certains initiés entreraient en contact avec ces esprits. Ce sont les « ngaa mii mina » ( ceux qui ont quatre yeux). Selon de nombreux récits, un non-initié ne peut pas voir ces esprits. Si une telle rencontre arrive, elle est souvent fatale et elle cause la perte de connaissance (syncope), la maladie et même la mort 1 .

Dans leur manifestation, les esprits peuvent revêtir la forme d’un tourbillon, d’une tornade, d’un animal quelconque, etc.

Les hommes qui ont mené une vie exemplaire sur terre constituent après leur mort, le groupe de « kiar » ( bons ancêtres). Ils participent à la libération des personnes dont les sorciers souhaitent la mort. Le caractère bienfaisant attribué au « kiar » se manifeste dans certaines croyances: une personne trouvant en pleine forêt, un animal tué, le ramasse et dit : « ce sont les « kiar » qui me l’ont offert ».

Par contre, les esprits mauvais participent à la destruction et à la désorganisation du monde. Ils favorisent les maladies, la sécheresse, les famines et provoquent les calamités naturelles. Les magiciens et autres manipulateurs du sacré agissent soit pour éviter la colère de mauvais esprits soit pour obtenir le soutien de bons.

Un point à souligner ici : les Ding sont convaincus de la capacité de l'homme à se rendre maître des esprits et à les domestiquer et les commander pour le meilleur comme pour le pire.

Notes
1.

HEBGA, M., Sorcellerie…, op.cit, p. 24.

2.

FROELICH, Nouveaux dieux d’Afrique, Paris, 1969, p. 25.

3.

Information reçue de BILUKWA Denis, Ngyenkung, le 10 septembre 2003.

1.

HEBGA, M., Sorcellerie…, op.cit., p.

2.

Souvent au début de la saison sèche lorsque le missionnaire prévient les parents du danger qu'il y a de laisser les enfants aller se baigner seuls dans le Kasaï, ceux-ci concluent : le Père sait que Mamy wata « cherche des enfants » !

3.

KINZAM, Exaltation…, op. cit., p. 9.

4.

MPIMAKO, I., Institutions culturelles ding face à l’évangélisation Catholique. Permanences et changements (1908-1962), Mémoire de Licence en Histoire, UNILU, Lubumbashi, 1985, p. 9-10.

1.

MPIMAKO, Institutions culturelles ding…, op.cit., p. 9-10 ; Lire aussi KINZAM, Exaltation…, op.cit., p. 9.