4. 3. LA MORT

Quand arrive la mort, l’esprit ancestral (nsib) quitte le corps qui est sujet à la putréfaction 1 . Mourir est un mal à éviter puisqu’il écarte physiquement l’individu de son groupe social. La mort est plus inquiétante lorsqu’elle frappe une personne jeune. Les Ding orientaux estiment normale et naturelle la mort d’un individu à un âge avancé. Souvent, ils ne vont pas consulter le devin. La mort d’une personne jeune exige une explication, un diagnostic qui va au-delà des causes apparentes (maladie, accident, etc. ). Derrière chaque mort, il y a un coupable qui doit être désigné par le devin. Ce coupable peut être un vivant ou un mort.

Certaines personnes s’initient à devenir maître de leur esprit ancestral (nsib) et de leur mort. Les unes peuvent, de leur vivant, se dédoubler en laissant, par exemple, leur corps au lit, pour participer avec leur esprit à la cabale des sorciers.

D’autres boivent une infusion appelée « mfie nsib »( littéralement « la marmite des esprits ») en vue de retarder le départ de l’esprit (nsib) vers l’au-delà pendant que le corps(noor) est à l’agonie. Le but de ce rite est de permettre au mourant de décider de l’instant de sa mort pour épuiser tout son testament et recevoir le maximum de recommandations de ses proches.

Une autre forme de ce même rite permet aux néophytes de fixer le statut de leur « esprit » après la mort du corps. Chaque membre choisit, à l’avance, l’être qu’il souhaiterait devenir : léopard, crocodile, etc. L’être sous la forme de laquelle l’esprit se transforme est nommée « Kiplla ». Les personnes qui ont bu le « mfie nsib » forment une confrérie que nous nommons la « société des maîtres de l’esprit ». Les membres de cette ligue vivent une solidarité entre eux et ont des règles strictes à respecter. Ils possèdent une capacité sorcière de nuisance. Ils peuvent par exemple, de leur vivant, se métamorphoser en léopard, crocodile, éléphant, etc. Ces êtres métamorphosés sont désignés par le terme « mafuk ».

Des Anciens se seraient initiés à ce culte, pour se rendre maître de leur destinée après la mort. Les traditions racontent que certains de ces « hommes forts » n’auraient jamais été enterrés. Leurs corps, mis en cercueil, disparaissaient dans les airs pendant le trajet conduisant au cimetière.

L’esprit d’un homme peut se révéler dangereux lorsque son maître a été assassiné sans motif valable. L’esprit s’empare du meurtrier. Celui-ci attrape une sorte d’hydropisie que les Ding orientaux appellent « dzwam » 1 . Cette pathologie conduit souvent à la mort. D’où les rites imposés aux homicides volontaires ou involontaires.

Pour les Ding orientaux, les morts rejoignent le séjour des ancêtres (malung) et les personnes ayant mené une vie terrestre loyale sont accueillies par les trépassés. Les méchants deviennent des esprits errants et cruels. Certains se métamorphosent en animaux dangereux, prêts à semer la terreur dans le monde des vivants.

Pour permettre au défunt d’accomplir sans trop de retard son voyage vers le séjour des morts, les Ding orientaux débutent le temps du deuil par un rite précis de deuil. Il commence dès le premier jour du décès pour s’étendre sur une année voir plus. Les cérémonies de deuil s’échelonnent sur deux moments importants : le premier se situant entre la mort et l’enterrement ; le second se parachevant par la levée du deuil.

Le premier temps se caractérise essentiellement par les pleurs et les lamentations exprimés par des chansons et des danses funèbres exécutées jour et nuit. Après la mise en bière, le corps est transporté au cimetière. Chaque clan a son cimetière particulier. Avant la mise en terre, les gens passent à tour de rôle près du cercueil pour prononcer leur message d’adieu (usa laswan). Le chef du lignage (nga wa ou nga mur) exprime la tristesse de la maisonnée. Puis, il commente ses efforts déployés pour maintenir le défunt en vie. Il dit aussi : s'il s'agit d'une mort naturelle, que le défunt aille rejoindre ceux qui sont partis avant lui. Par contre, s'il s'agit d'un décès provoqué par une personne jalouse et méchante, que celle-ci soit poursuivie.

D’autres individus peuvent prendre la parole. L’un pour dire : « j’avais votre dette, je la règle tout de suite » ; un autre pour demander pardon et un autre encore pour remercier. L’enterrement s’accompagne par un sacrifice sanglant. En règle générale, c’est une chèvre ou un bouc qui est égorgé et son sang est répandu sur la tombe. On dépose aussi sur cette tombe des objets usuels du défunt : machette, arc, flèches, calebasse, marmite, etc.

Avec le retour au village, commence le second temps de deuil. Cette période comporte trois grandes étapes :

- Les neufs premiers jours (iwa la kia = la petite neuvaine), toute la lignée se soumet à l’interdiction de travailler, d’avoir des rapports sexuels et de consommer certains aliments. Elle reste près de la case du défunt et elle continue à veiller. Au terme de cette première phase, un premier rite de séparation est effectué. Les gens du village, non membres du clan, peuvent aller chacun vaquer à leurs occupations.

- La seconde étape s'étend du neuvième au dix-huitième jour. Seuls les hommes, membres du clan, continuent à veiller devant la case du défunt. Au dix-huitième jour (iwa la nen = la grande neuvaine), c'est le temps de la grande cérémonie de réconciliation. Le vin de palme est versé par terre en implorant le mort d’autoriser les membre de sa famille à reprendre leurs occupations. Le maître de cérémonie bénit la famille éprouvée avec un mélange fait de kaolin et de vin de palme (nzep). À cette occasion le sorcier désigné par le devin et qui a reconnu son forfait, vient réparer son tort en payant les dommages et intérêts (umpogn).

La troisième et dernière étape du deuil commence ce dix-huitième jour. Elle peut durer un ou deux ans et elle se clôture par une très grande fête (matang). Les réjouissances commencent par le sacrifice d’une chèvre (ou un bouc) avec libation de vin de palme à la tombe du défunt. Pendant deux jours, les invités mangent et boivent au rythme de la musique et aux pas de danses. Ainsi se terminent les cérémonies de deuil.

Notes
1.

Nous avons entendu beaucoup de récits extraordinaires au sujet de la mort. Plusieurs personnes rapportent, par exemple, qu'on peut voir l’esprit ancestral quitter le corps sous la forme matérielle du feu, de vent violent ou d’animal. Certains parlent de telle personne qu’on aurait rencontré à tel endroit pendant qu’elle venait de mourir à tel autre endroit.

1.

VANSINA explique que dans certaines région de l’Afrique équatoriale, on brûlait le corps du sorcier tué par l’oracle du poison pour « annihiler son esprit ancestral » ( Sur les sentiers…, op.cit., p. 124)