6. 2. 2. Les charmes individuels

Les Ding orientaux recourent aux charmes individuels pour guérir, pour retrouver un voleur, pour découvrir une nourriture empoisonnée ou pour arrêter les sorciers. Ils usent de philtres qui attisent la haine ou de philtres d’amour pour attirer les femmes. Ils recourent également aux charmes pour gagner des palabres, pour transgresser impunément les interdits, pour échapper aux animaux féroces, pour faire des chasses ou des pèches fructueuses, pour des accouchements faciles, pour tuer, etc.

Ces charmes et ces philtres se sont adaptés à la « situation coloniale ». Ainsi ils pourront servir à écarter le mauvais blanc, à multiplier l’argent des Blancs, à échapper au service militaire ou aux travaux forcés, à réussir à l’école (ou au catéchuménat), à être aimé de son patron blanc et, à en obtenir ses faveurs, à devenir une prostituée à succès, etc. Les Ding orientaux croient que pour détenir certains charmes (surtout ceux qui procurent un pouvoir magique), le récipiendaire doit offrir des victimes humaines (kibva). La puissance du charme est, dans ce cas, fonction du nombre des victimes livrées. D’où l’association qui est souvent faite entre la possession d’un charme, la magie et la sorcellerie. Dans le langage courant les termes « uloe » (magie), « mukpe » (sorcellerie), « mituk » (charme), « makpr » (amulettes) et « ntoeki » (philtre) sont souvent confondus car ils désignent indistinctement la « sorcellerie » que le kikongo traduit par « ndoki ».

Évoquons quelques-uns de ces charmes et philtres individuels 1  :

Mpabr : ce charme procure à celui qui le détient le pouvoir de se rendre invisible devant un danger menaçant, notamment un animal féroce. Le détenteur peut aussi s’offrir le pouvoir de l’ubiquité, de la métamorphose (c’est-à-dire, il peut se transformer en papillon ou en simple feuille devant un léopard qui le pourchasse) ou de la rapidité. Les chasseurs et les guerriers s’octroient souvent ce charme.

Ikan : celui qui le possède peut maîtriser son adversaire par un simple cri. S'il se trouve devant quelqu’un qui s’approche de lui avec un couteau pour l’agresser, il lui suffit de pousser ce cri et l’adversaire lâche son arme.

Lagnik : celui qui le tient exerce un pouvoir de domination et de fascination. Si, le possesseur du charme est un subalterne, s'il commet une faute grave, en se présentant à son chef, ce dernier est comme subjugué, il ne sanctionne pas le fautif, mais il peut, par contre, lui promettre un avancement en grade.

Mukumn : c’est le philtre d’amour qui crée chez la personne désirée l’envie d’aimer le détenteur du philtre. Souvent ce sont les hommes qui l’utilisent pour captiver les femmes.

Kimvwang : c’est la version moderne du philtre précédent. Il est souvent utilisé par les prostituées pour attirer les partenaires. Ce charme serait composé entre autre du sang de menstrues, des selles ou des urines de la femme. Mélangée à la nourriture offerte à l’homme, cette mixture rend l’envoûté docile et malléable. Il semblerait, selon ce qui se raconte dans les cités de Pangu, Dibaya et Mangaï, que le « kimvwang » aurait été apporté dans la région par les femmes Baluba.

Nzwan : c’est le chat magique que son détenteur peut envoyer pour espionner ses adversaires. Certains de ces chats se transforment en léopards pour terrifier l’ennemi ou chasser pour leur maître.

Mupben : celui qui détient ce charme espère devenir riche. S’il fait un petit travail, il est toujours grandement récompensé. L’acquisition de ce charme requiert des sacrifices humains.

Muyeke : Charme qui permet à son possesseur de devenir riche soit en multipliant les billets de banque, soit en produisant de grandes récoltes, soit en envoyant son serpent (boa ou python) avaler l’argent d’un autre.

Trois autres charmes ont déjà été étudiés dans les paragraphes précédents, il s'agit, notamment de Niang (charme de chasse), de Mfie nsib (ou la marmite de l’esprit ) et de Ntwa ( le serpent magique).

Cette liste des charmes individuels n’est pas exhaustive. Elle n’est proposée qu’à titre illustratif. Il est difficile de connaître tous les charmes qui peuvent exister. Un même individu peut recourir à plusieurs charmes à la fois pour des raisons diverses. D’autres charmes ne sont en réalité que des remèdes pour telle ou telle maladie. Dans la plupart des cas, ceux qui ont des charmes avec un caractère sorcier, ne se dévoilent pas au grand jour. Ils se taisent pour ne pas subir la vindicte populaire.

Notes
1.

Les données présentées ici proviennent des travaux de Nkuminsongo, Musong, Kinzam et Mpimako ainsi que de nos propres enquêtes effectuées en 1978 et en 2003. Il est étonnant de constater que les jeunes qui n’étaient pas interrogés en 1978 donnent un quart de siècle plus tard les mêmes réponses que celles obtenues de leurs aînés. C’est dire que les croyances religieuses continuent à se perpétuer malgré la pression croissante de la modernité occidentale et des religions chrétiennes.