1. 1. 3. La croix

La croix est l’un de ces objets cultuels que les autochtones ont assez vite adoptés et intégrés dans leurs usages. La croix est, d’abord, perçue comme la représentation matérielle de la mort. Pour cette raison, elle a élu, très tôt, domicile, même sur les tombes des païens. Chaque fois qu'une personne meurt et qu’elle est enterrée, une croix en bois est planté du côté où repose sa tête, sur le tumulus constituant le haut de sa tombe. L’aspect des cimetières « indigènes » est bien décrit par Ribaucourt : « De-ci de-là, en 1959, puis progressivement partout, aux abords des villages, des endroits d’habitude broussailleux apparurent propres, bien dégagés, balayés : les accès aux cimetières et les cimetières eux-mêmes. Se distinguaient ainsi de faibles tumulus, de petites croix en bois, souvent chancelantes, de très rares tombes avec revêtement en ciment, et aussi, éparpillés, des casseroles, des assiettes, des calebasses, de vieilles chaises longues, tout un attirail nécessaire aux ancêtres » 3 .

Les croix sont là parmi tant d’autres objets supposés être utilisés par les défunts dans l’autre vie. Il y a ici comme un mélange entre la foi en la résurrection du Christ et la croyance au séjour des ancêtres. C’est aussi ici que la croix rencontre la chèvre et le vin de palme. Lorsqu’il s'agit d'offrir un sacrifice, la victime – une chèvre ou un poulet – est égorgée au pied d’une croix, parfois branlante. Le sang de la victime est aussi aspergé sur la croix.

Dans les villages ou quartiers chrétiens (mavula ), les habitants construisent une grande croix en ciment au milieu de leur secteur. Ce monument a une double fonction : distinguer le village ou le quartier de chrétiens de celui des païens et protéger les pensionnaires contre les esprits malveillants et les attaques des sorciers.

Vers 1956, la mode est aux petits crucifix et aux livres de prière venant par la poste, de Paris ou de Bruxelles. Cette habitude touche surtout la petite élite d’enseignants, des commis, des magasiniers, les cuisiniers des Blancs, bref la petite bourgeoisie locale désignée par le terme colonial d'« évolué ».

Pour ces « évolués », ces petites croix et ces livres ont des vertus magiques. D'après le témoignage de Ribaucourt, les détenteurs de ces objets prient au cimetière et souvent la nuit 1 . Ces prières sont faites non seulement pour se protéger contre les mauvais sorts et la malveillance des sorciers, mais aussi pour obtenir la bonne chance, la fécondité, la guérison, la richesse et le bonheur. À cette époque, les « évolués » se ruent sur les médailles porte-bonheur, les bagues, les chaînettes et même les lunettes magiques provenant des maisons spécialisées de Paris, Bruxelles ou Moscou. Les bénéficiaires de ces objets sont tenus à respecter des règles secrètes strictes sous peine de sombrer dans la folie ou de mourir inopinément.

Notes
3.

RIBAUCOURT, Évêque d'une transition..., op.cit., p. 191.

1.

RIBAUCOURT, Évêque d'une transition..., op.cit., p. 192.