1. 3. LE DÉFI DE LA MALADIE ET DE LA MORT

La conception de la maladie et de la mort s'enracine dans la structure sociale et la matrice culturelle de chaque groupe humain. C'est la société qui, en amont, définit la maladie tout autant qu'elle propose les schémas thérapeutiques et les limites de la guérison. C'est elle aussi qui, en aval, règle la question de la mort et détermine les comportements à adopter. La maladie et la mort sont des faits de société. Elles se prêtent à l'analyse historique 1 .

Le christianisme missionnaire, dans sa prétention à transformer tout l'être païen, a tenté aussi d'apporter, aux autochtones, de nouvelles réponses aux questions existentielles de la maladie et de la mort. Les missionnaires, en phase avec les conceptions scientistes en vogue en Occident, ont cherché, par tous les moyens, à faire créditer l'idée que la maladie et la mort sont des phénomènes naturels et qu'avec leurs hôpitaux et leurs remèdes, ils peuvent soulager la souffrance et reculer la mort. Dans cette perspective, les manières traditionnelles africaines de percevoir la maladie et la mort étaient contestées sinon ridiculisées. Elles relevaient, d'après les missionnaires, de la superstition. Mais lorsque les missionnaires s'étaient mis à soigner les malades dans leurs hôpitaux et que certains patients finissaient tout de même par mourir, alors les Africains se sont mis à douter de l'efficacité du système missionnaire.

Pour beaucoup d'Africains, l'explication selon laquelle la maladie et la mort ont des causes biologiques, reste théorique et générale. Le vrai débat se situe ailleurs : pourquoi la maladie et la mort me touchent-elles, seulement moi, et en ce moment ? Par exemple,Sœur Josèphe-Marie a beau me rassurer, à partir de son laboratoire d'Ipamu, que mon mal vient de tel virus ou de telle défaillance génétique, elle ne me dira jamais : « pourquoi cela m’arrive-t-il seulement à moi, à mon épouse, à mon enfant et à ce moment » ? Pourquoi , par exemple, la mouche tsé-tsé qui donne la maladie du sommeil a-t-elle croisé mon chemin à moi, à tel moment précis de ma vie ? » À ces questions, aucune Sœur et aucun Père ne répondent. Cela ne les intéresse pas . Par contre, les Africains sont préoccupés par ces interrogations d'ordre métaphysique. Ils pensent que ce n'est pas par hasard que j'ai croisé la mouche tsé-tsé sur mon chemin. Une force occulte a provoqué cette rencontre.

Notes
1.

Lire ARIÈS, P., Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen-Âge à nos jours, Seuil, Paris, 1975.