1. 4. 1. Un catéchiste au village

Il faudrait noter de prime abord que l'attitude des habitants du village dépendait de l'origine du catéchiste.

Quand il était du village même ou d'une localité proche et connue, il se retrouvait dans son milieu naturel et continuait à évoluer dans son réseau parental et familial. Il pouvait intervenir, sans soupçon dans toutes les activités du village et même dans celles prohibées par les missionnaires et y participer sans risque d'être dénoncé. À titre d'exemple, les témoins nous ont cité le cas de tel catéchiste, chef d'une classe d'âge et qui « visitait » régulièrement la polyandre de sa catégorie d'âge, tel autre, membre d'un culte anti-sorcier, tel autre encore, chef de son clan, qui allait consulter le devin quand sa famille l'y obligeait, etc.

Village Ipamu vers 1925
Village Ipamu vers 1925

(source : MBCJ, 1925)

Un catéchiste de cette catégorie était perçu par le village comme son vrai complice. Il ne pouvait en aucun cas révéler au missionnaire en visite, le vrai visage du village. Il lui présentait ce que, d'un commun accord, le conseil du village et lui, avaient décidé de dire. Généralement, lorsque le missionnaire arrivait dans un tel village, tout semblait bien préparé et le catéchiste était toujours à côté de l'illustre visiteur lui dictant presque ce qu'il devait faire et qui il devait recevoir. Lorsqu'il s'agissait de visiter les malades, le catéchiste conduisait le missionnaire vers ceux dont le village souhaitait la mort parce que sorcier ou personne indésirable. Ce type de catéchiste ne connaissait pas de problèmes avec son village, même si sa conduite morale laissait à désirer.

Par contre, lorsque le catéchiste était étranger au village et parfois ne comprenait pas l'idiome local, les habitants se méfiaient de lui et le prenaient pour un espion envoyé par le missionnaire, c'est-à-dire par les Blancs. Le village lui accordait, certes, son l'hospitalité comme il le ferait avec n'importe quel étranger, mais ce catéchiste restait un personnage suspect qui devait être écarté de décisions essentielles du village. Il côtoyait les chrétiens du village, mais ses contacts restaient superficiels ; il ne pouvait, en aucun cas, connaître les dessous de cartes de la vie au village. Le cas du catéchiste Lumbidi et ses démêlés avec les gens de Kibwadu, illustrent parfaitement la situation inconfortable d'un catéchiste étranger 1 . Les habitants du village chercheront le moindre prétexte pour le faire partir.

Ces catéchistes, agissant loin de chez eux, étaient les plus intransigeants. Comme ils ne s'embarrassaient d'aucune attache parentale, ils ne se sentaient obligés qu'envers les missionnaires qui les ont élevés à de tels postes de responsabilité. Les témoins rapportent que ce sont ces catéchistes qui, au temps des Jésuites, dénonçaient les polygames et rapportaient aux Pères les noms de catéchumènes qui avaient laissé leurs femmes païennes au village 1 .

D'une manière générale, bon nombre de catéchistes abusaient, comme le montrent plusieurs témoignages, de leur position dominante. Comme ils étaient les seuls à savoir lire et écrire et à entrer en contact avec les Blancs, ils profitaient de cette situation pour régler leur compte à leurs adversaires, porter de fausses accusations ou engranger certains bénéfices. Beaucoup de récriminations contre eux portaient entre autres sur les questions affectives.

Ils avaient une position sociale tellement enviée que nombre de femmes ne résistaient pas à leur sollicitation 2 .

Les missionnaires ignoraient souvent les problèmes de leurs catéchistes car les villageois, ignorant la langue comprise par les Pères, ne pouvaient pas leur transmettre leurs doléances. S'ils désiraient le faire, il fallait nécessairement la médiation du catéchiste qui, naturellement, ne pouvait pas s'accuser. Au fur et à mesure que les jeunes étaient scolarisés et que le nombre de ceux qui savaient lire et écrire augmentaient, le pouvoir du catéchiste diminuait et ses rapports avec son environnement devenaient plus pacifiques.

Notes
1.

Cf. supra.

1.

Informations de MUYUR Alexandre, Ipamu, le 4 septembre 2003 et de NSOKI Médard, Kibwadu, le 10 septembre 2003.

2.

À l'époque de missionnaires de Pangu deux cas sont à signaler: 1° Le catéchiste Mafuta Adrien a été traîné en justice par un certain Bangui Ibua. Le Substitut du Procureur du Roi écrit au Père Sterpin: « J'ai l'honneur de vous informer que Mafuta Adrien, votre catéchiste a quitté Luebo pour Pangu par Steamer, le 18 août. [...] Mafuta Adrien n'est cependant pas sans reproches ; il a avoué qu'il avait eu par trois fois des relations illicites avec la femme de Bangui Ibua ». ( Lettre du Substitut du Procureur du Roi à Sterpin, Luebo, le 25 août 1919, ARCCIM, Z/III/b/1/28 ) 2° Les informations recueillies à Bambudi et à Ngulungu, prétendent que c'est un mari jaloux qui a assassiné le catéchiste de Ngulungu dont les Pères parlent dans leur journal (cf. supra, p. ). Au temps des Jésuites d'Ipamu, nous relevons les cas de Lumbidi à Kibwadu et plusieurs autres situations épinglées par l'administrateur territorial d'Idiofa.( cf. AMBAE -AAF, M. 628, doss. N° 1/D., 133)