Face à la tradition ancestrale, la position du catéchiste ne différait guère de celle de tout chrétien. Mais sa grande difficulté venait de l'exemple de conversion qu'il était appelé à donner. Comment concilier sa vie de chrétien, son témoignage de catéchiste avec les exigences de l'ordre légué par les ancêtres et utile, malgré les pressions de la modernité missionnaire, à la survie du groupe social ? À lire et à écouter les témoignages disponibles, ce sont les catéchistes évoluant dans leur propre village ou dans leur propre groupe ethnique qui avaient beaucoup de difficultés à se départir de l'emprise de leurs traditions séculaires. Évoquons par exemple le cas de la polygamie. Les sources relèvent des cas où certains catéchistes ont fini par devenir polygames. Les cas de ce genre rencontrés chez les Ding orientaux ont eu pour cause la règle du lévirat qui exigeait du frère (ou neveu) de prendre et d'entretenir les femmes et les enfants de son frère défunt. Lorsque le catéchiste était l'unique homme de sa lignée capable d'assumer l'héritage, il se sentait presque obligé de faire le choix de la survie de sa lignée plutôt que de celui des prohibitions de la religion des Blancs.
La pression de l'environnement social a beaucoup joué dans le comportement des catéchistes. Ils ne pouvaient pas, comme tous les autres chrétiens, y échapper. Quand survenait la maladie et la mort, tous les réflexes de la tradition ancestrale revenaient à la surface. Le cas du catéchiste Léon Mbele, évoqué par le Jésuite Struyf, illustre, à merveille, le drame de tous les catéchistes à l'époque missionnaire.
Dans son article intitulé « Le Kindoki », Struyf rapporte l’histoire d’un « triste cas de superstition qui s’est présenté dans la région de la Kamtscha-Lubwe, peu avant la Noël 1932 » 1 Il s’agit d’un catéchiste, un certain Léon Mbele, établi avec sa femme au village Mbala dans la région de Mateko. Leur jeune enfant tombe malade ; il se met à maigrir à vue d’œil et on craint une issue fatale.
Depuis plusieurs nuits, la femme, dans ses rêves, voit entrer dans la maison un « ndoki » ou jeteur de sort qu’elle reconnaît être telle vieille femme du village. L’eau bénite apportée de la Mission est jetée partout. Malgré cela le « ndoki » revient et la maladie de l’enfant empire.
Le catéchiste convoque tout le village devant sa maison. Il raconte les rêves de sa femme et la maladie de son enfant qui se meurt lentement. Il indique et nomme le « ndoki » par son nom et menace des plus grands malheurs le fils de la présumée jeteuse de sorts : « Vous me paierez cher, si mon enfant vient à mourir… » 2
La vieille femme incriminée ne cesse de proclamer son innocence. C’est alors que son propre fils, las d’entendre les plaintes de sa mère, saisit un grand couteau et une machette et à coups sauvages la tue.
Le catéchiste craignant une vengeance, se dirige vers la Mission pour expliquer le cas et demander une feuille de route pour Niadi afin de dénoncer le crime à l’agent territorial. Le catéchiste sera condamné à deux ans de prison et le meurtrier à quatre ans.
Struyf justifie pourquoi il raconte cette histoire : « Il est intéressant de le signaler, car il montre à l’évidence combien profondément reste ancrée la superstition dans l’esprit des chrétiens et même des catéchistes bantous. » 1
Il n'était donc pas facile d'être catéchiste. Il fallait à tout moment négocier simultanément avec la« chèvre et la croix », trouver un compromis entre le paganisme et le christianisme.
STRUYF, « le Ndoki »..., op.cit. p. 400
STRUYF, « le Ndoki »..., op.cit. p. 401.
STRUYF, « le Ndoki »..., op.cit., p. 402.