2. 1. NZAMBI MALEMBE, UNE VERSION DU KIMBANGUISME

Dans le Bas-Congo, un de ces mouvements était apparu dès la fin de la première guerre mondiale : c’est le Kimbanguisme. Son prophète, Simon Kimbangu, était un ancien catéchiste protestant. L’histoire extraordinaire de cet homme avait commencé le 18 mars 1921, lorsqu’il a vu en songe un étranger qui lui a apporté la Bible, lui recommandant de la lire et de prêcher. L’enseignement de Kimbangu tirait donc ses fondements de la Bible dont il revendiquait le droit à la lecture. Le prophète s'estimait aussi investi de la mission de porter la « Bonne Nouvelle » à ses frères de race. Il n'entendait pas limiter son apostolat à lire la Bible et à prêcher. Il fallait apporter la guérison aux malades et libérer le peuple de la polygamie, du fétichisme et de la sorcellerie. Le retentissement du mouvement, commencé à Nkamba, était tel que, « très rapidement, les catéchuménats catholiques et protestants comme les hôpitaux et les dispensaires, furent désertés [...] . Bientôt, les entreprises se trouvèrent vidées de leur personnel » 1 . L’engouement populaire vers le nouveau prophète était aussitôt accompagné de réaction de xénophobie et d’hostilité à la colonisation. Le prophète annonçait la venue imminente du Christ qui renverserait le pouvoir des Blancs. En attendant, il fallait refuser de payer l’impôt et boycotter les cultures obligatoires. L’autorité coloniale, sous la pression des missions catholiques notamment, réagit sans attendre. Kimbangu, arrêté, comparaissait devant le Conseil de Guerre de Thysville. Le 3 octobre 1921, il était condamné à mort pour atteinte à la sûreté de l’État et à la tranquillité publique. Cette sentence de mort sera commuée en peine d'emprisonnement à vie par le roi Albert, en novembre 1921.. Le prophète était transféré de Thysville à Stanleyville et de là à Élisabethville. On rapporte que, tout au long de son voyage, il était accueilli par des foules des sympathisants. Kimbangu meurt à la prison d'Élisabethville en 1951.

L’arrestation, la condamnation à mort, puis l’emprisonnement à vie de Kimbangu furent vite assimilés à la souffrance du Christ. Le nombre d’adeptes n'avait cessé d’augmenter dans le Bas-Congo et le mouvement avait atteint rapidement les cités indigènes de Léopoldville. Dès 1924, plusieurs personnes manifestaient à Thysville contre l’emprisonnement de nombreux disciples de Kimbangu. L’autorité coloniale avait arrêté plusieurs partisans et les avait relégué dans le Kasaï-Lukenye et de là en Équateur. Les mesures de relégation loin de freiner l’expansion du mouvement allaient l’amplifier, car les relégués devenaient eux-mêmes des prosélytes de la nouvelle religion.

Nous n’avons, pour le moment, aucune indication précise sur la chronologie de la pénétration de ce mouvement chez les Ding orientaux et chez leurs voisins de l’actuel diocèse d’Idiofa. Nous savons simplement qu’à l’époque coloniale, les adeptes de cette doctrine ne s’affichaient pas ouvertement. Dans la liste des sectes hiérarchisées dissoutes et interdites par l’application de l’ordonnance N° 92/AIMO du 25 août 1937, le kimbanguisme est décrit sous plusieurs noms : ngouzisme, ngounza, kibangu, Bana-ba-Simon, Bantu-ba-Simon, Makambu ma Simon, Nzambi Malembe 1 . Nous savons aussi que le kimbanguisme et plusieurs autres « sectes » dites « dangereuses » étaient très actives dans les « cités indigènes » de Léopoldville et que les bateaux du Kasaï facilitaient les contacts avec cette dernière ville. Le Kimbanguisme, sous l’une de ses multiples dénominations, aurait donc pu atteindre la région des Ding et notamment les agglomérations de Mangaï, Dibaya-Lubwe et Pangu bien avant l’ordonnance de 1937. Certaines traditions recueillies dans la contrée soutiennent que c’est par les relégués installés dans le territoire d’Oshwe, dans l’actuel district de Maï-Ndombe, que le kimbanguisme aurait pénétré chez les Ding et leurs voisins 2 .

Les archives font état de cette infiltration pendant la deuxième guerre mondiale. En effet, dans une lettre qu’il adressait au Gouverneur Général, le Vice-Gouverneur Ermens écrivait :

‘J’ai l’honneur de vous informer qu’une cellule d’origine ngouziste appelé « Nzambi Malembe » vient d’être découverte au Centre extra-coutumier de Dibaya-Lubwe. Cette secte a été fondée en 1944, suppose-t-on, par un ancien sergent de la Force Publique, Mata, originaire de Manianga, district du Bas-Congo, qui, à l’époque, se trouvait en garnison à Idiofa. La cellule ne comprend, comme principaux adeptes, que des indigènes de la race Baluba. Il existe des raisons de croire qu’elle était en relation avec les Kibanguistes, relégués à Oshwe. Mata licencié et rentré dans son district d’origine, fut convaincu, peu après, de Kibanguisme pour avoir constitué une cellule connue sous le nom de Bola-Mananga. Il fut arrêté et interné à Inongo. Le gouverneur de la province de Léopoldville vient de dissoudre la cellule Nzambi Malembe, issue incontestablement du mouvement « Ngouziste 3 .’

Le Vice-gouverneur Ermens établissait un lien entre le mouvement découvert à Dibaya-Lubwe et la mission protestante de Kintshwa : « Lors de l’enquête, l’activité d’une missionnaire protestante poussant ses adeptes vers le « self governement » a été suspectée. Le complément d’enquête révèle que la majorité des membres sont inscrits sur les listes des disciples de la mission de Kintshua à laquelle appartient cette missionnaire. La corrélation entre les enseignements de cette mission et ceux de la secte n’est pas établie mais la vigilance s’impose » 1 .

La missionnaire incriminée ici était mademoiselle Bodin et les protestants de Kintshwa appartenaient au Congo Gospel Mission. Le rapport d’Ermens insistait sur le fait que ce sont surtout les Baluba établis à Dibaya-Lubwe qui étaient impliqués dans le mouvement qui n’avait pas affecté les autochtones (les Ding orientaux). Il notait, cependant, qu’une propagande active s’était efforcée de les gagner.

D’après Ermens, des documents saisis chez les adeptes contenaient un exposé sur les rites d’initiation et une hymne qui incitait les membres à secouer le joug de l’occupant. Les réunions de la secte se faisaient la nuit, dans les endroits difficilement accessibles tel que les bancs de sable du Kasaï où on administrait les baptêmes. Les diverses incantations étaient adressées au diable. Les initiés passaient des contrats avec le diable parce que les Blancs cachaient la troisième personne de Dieu. Celle-ci venait d’être découverte par un certain Daniel, non autrement identifié, propagandiste de la secte, opérant aux environs d’Oshwe.

Pour les adeptes de Nzambi Malembe, les missionnaires et les Blancs en général étaient des suppôts de Satan, ils allaient tous disparaître. Ces adeptes faisaient des prières au cimetière habillé de blanc. Le baptême conféré par la secte était censé libérer les païens du diable qui faisait d’eux des réprouvés. Le postulant au baptême revêtait un tissu blanc. Pendant la cérémonie, une langue de feu descendait du ciel sur le candidat, lui conférant l’impunité à l’égard du pouvoir établi qui, de toutes les façons, devait disparaître.

Comme dans les cultes anti-sorciers, les adeptes du Nzambi Malembe avaient aussi des interdits : ils ne mangeaient, par exemple, pas d’aliments chauds et ne buvaient que de l’eau puisée le même jour. Les morts ne devaient pas être pleurés car ils ne faisaient que dormir. Un feu perpétuel était entretenu devant la case du principal responsable. Ces différents responsables prenaient les titres de la hiérarchie catholique : Monseigneur, Père Supérieur, Ma Sœur, etc.

Le Nzambi Malembe, cette autre version du Kimbaguisme, se trouvait, comme on peut le constater, à mi-chemin entre le christianisme et les cultes traditionnels.

Nous n’avons trouvé aucun document missionnaire parlant de ce mouvement. Par contre l’État s’en était occupé. Il avait arrêté puis relégué à Kasongo Lunda, en 1945, les principaux « meneurs » : Mukuna Moïse, Ngalula Marie, Mukendi Isaac, Kangwagi Pauline, Kalombo Albert, Katshunga, Tshipapay, Moke, Yule Ivon (alias Iwana Jules) et Pose Tose. Toutes ces personnes étaient des Luba, exceptés Moke (Ngwi) et Yule Ivon (Nzadi) 1 .

Notes
1.

CHOMÉ, J., La passion de Simon Kimbangu, Bruxelles, Les amis de P.A., 1959, p. 5-6.

1.

AIMO, II. P. 2. f.1., AMBAE-AAF.

2.

Traditions recueillies chez les Kimbaguistes de Mpingini et Ngulungu par Bilukwa Denis en 1998.

3.

Lettre du Vice Gouverneur Général, ERMENS au Gouverneur Général, Léo, le 17 octobre 1945, AMBAE – AAF, AIMO/IIQ/5.a – 51bis

1.

Idem.

1.

Procès verbaux établis par l'agent territorial DUMONT, 1945, AIMO/II. Q./ 5a – 51. bis, AMBAE- AAF.