3. RECOURS AUX CULTES TRADITIONNELS

Au fur et à mesure que les missionnaires élargissaient leurs espaces topographiques et que les statistiques envoyées aux instances romaines et publiées dans les périodiques montaient en épingle les progrès réalisés par l'évangélisation, on a vu apparaître, au tournant des années 1930, chez les Ding orientaux et leurs voisins de nouvelles formes de religiosité et de dévotion ne revendiquant pas accointances avec le christianisme (catholique ou protestant) qualifié de « religion des Blancs » 1 . Ces formations religieuses remettaient au goût du jour les différents cultes traditionnels et elles n’empruntaient rien à la religion chrétienne qu’elles semblaient, à certains endroits, combattre. Vansina affirme que « leur expansion forme une histoire parallèle à celle de la conversion à différentes confessions chrétiennes » 2 . En réalité ces mouvements religieux ne constituaient pas une nouveauté dans cette région. Liés à la question récurrente de la sorcellerie, ils apparaissaient chaque fois que les villages se croyaient frappés par la « malchance » provoquée par les actions malveillantes des sorciers. La nouveauté dans les années 1930, est que ces mouvements s'étaient étendus sur des espaces géographiques dépassant les simples limites ethniques et qu'ils avaient intégré dans leur doctrine l'idée que les Blancs et l'ordre social qu'ils tentaient d'imposer, relevaient du sphère de la sorcellerie, c'est-à-dire du « mal absolu » qu'il fallait combattre. En même temps qu'il fallait « purifier » les villages en les débarrassant de leurs sorciers, il fallait aussi « exorciser » l'ensemble du territoire national en expulsant les « Blancs », auteurs de plusieurs malheurs (impôts, corvées, cultures obligatoires, recrutement forcé de la main-d'œuvre, etc.). Parmi leurs objectifs, la lutte contre la sorcellerie reste essentielle. Nous pouvons, dans ce sens et improprement, les appeler « cultes anti-sorciers » 3 .

Au niveau de la recherche, il n'existe pas encore d'inventaires exhaustifs de tous les mouvements de ce type qui se seraient développés chez les Ding orientaux depuis l'établissement des « Blancs » dans la région. Nous nous intéresserons, ici, au Lukoshi et à ses avatars parce que nous retrouvons leurs traces dans les sources missionnaires que nous avons consultées. Vu son extension géographique et temporelle 4 , le Lukoshi aurait durablement affecté l'évolution religieuse des Ding orientaux et des leurs voisins.

Notes
1.

Cf. BUREAU, R., Le peuple du fleuve…, op. cit.,. p. 20.

2.

VANSINA, « Lukoshi/Lupambula… », op.cit., p. 51.

3.

VANSINA met en garde contre une utilisation étriquée du qualificatif « anti-sorcier ». Il note: « Ce culte (le Lukoshi), comme d'autres du même type, a été affublé de l'étiquette « anti-sorcier », parce que son but principal est la destruction des sorciers, considérés comme responsables de tous les maux. Mais cette étiquette est trompeuse. Imaginons que l'on appelle « cultes anti-péchés » les cultes chrétiens, musulmans ou juifs, et l'on saisit immédiatement pourquoi une désignation peut par elle-même réduire considérablement la portée de la signification religieuse du culte. En fait, ces cultes « anti-sorciers » constituaient le noyau du système religieux des peuples qui les pratiquaient, parce qu'ils englobaient la série la plus complexe et la plus nombreuse des rituels les plus fréquents et que la place faite au mythe et aux êtres surnaturels n'y restait que mineure » (VANSINA, « Lukoshi/Lupambula… », op.cit., p. 51.)

4.

À propos de l'extension géographique du lukoshi, VANSINA note: « Il s'étendit jusqu'à couvrir finalement une aire correspondant environ à un sixième de la superficie du Zaïre ainsi qu'une partie de l'Angola, affectant plus de vingt peuples de cette région de l'Afrique Centrale ». Quant à l'étendue temporelle, ce même auteur estime que les mouvements, comme l'Imanya, apparus vers 1970, ne sont que les avatars du lukoshi. (VANSINA, « Lukoshi/Lupambula… », op.cit., p. 51.)