3. 1. 1. Origine et signification

C'est à partir de 1924 que les archives signalent, chez les Kuba du Kasaï, l'existence d'un mouvement religieux du nom de Lakosh (Lukoshi, Lukusu, Lukoï, Lukusa mpongu, etc.). Ce mouvement serait une métamorphose de l’Omotamba, culte connu, des années auparavant, chez les Tetela du territoire de Lodja. Le mot Omatamba rappelle un culte plus ancien dénommé « tembo ou tambo » et décrit par Torday 2 . La transformation de l'Omatamba en Lakosh aurait été opérée par un prophète kuba du village de Loomb ou de celui de Mingyeenc 3 .

Le Lakosh (Lukoshi) fait partie des cultes (ou charmes ) collectifs, ayant un but diffus et polyvalent : celui de restaurer la normalité ou l’ordre correct et naturel des choses, l’harmonie cosmique, en éliminant la sorcellerie qui est la cause de tout mal, de toute anormalité et disharmonie. Ces cultes présupposent une croyance à la sorcellerie et en l’existence d’un ordre naturel ou d’une « bonne vie » 4 . Une série de symboles se rattache à ces croyances et, parmi ceux-ci, les plus fondamentaux ont trait à la chasse et à la nouvelle lune. Ces cultes (charmes) ne disposent pas d’une doctrine élaborée ni des grands mythes sacrés, ce en quoi ils s’opposent clairement aux religions « du livre », fondées sur une révélation divine. Ce fait explique pourquoi les missionnaires européens les ont constamment occultés ; ces cultes ne se conforment pas à la notion inconsciente qu’ils se faisaient d’une religion 1 . Les cultes de type Lukoshi ont été nombreux et datent d’avant l’occupation effective du territoire des Ding orientaux par les Européens.

Nous nous arrêtons sur le Lukoshi parce qu’il montre que, malgré l'omniprésence des missionnaires et l'intense travail d'éducation et d'évangélisation qu'ils ont effectué, le « paganisme » n'a pas été vaincu, au contraire, en ces années 1930, il a retrouvé une nouvelle vitalité et il a séduit plusieurs adeptes.

Avant d’analyser l’histoire de la diffusion du Lukoshi et de ses incidences chez les Ding orientaux, montrons d'abord comment ce culte était introduit dans les villages.

La rumeur courait dans un village qu’un village voisin avait introduit le culte (charme collectif) avec des effets bénéfiques. Les notables du village en discutaient et finalement, soit après une accusation de sorcellerie, soit parce que persistait le sentiment que la malchance s’était abattue sur le village, on décidait d’aller chercher le culte 2 . Un ou plusieurs des membres les plus influents de la communauté étaient envoyés en mission et revenaient du village détenteur du Lukoshi avec des informations concernant le prix à payer pour l’initiation, la date approximative d’initiation, fixée habituellement au début de la nouvelle lune et les informations préliminaires. Le jour venu une délégation du village, comprenant tous les dignitaires, apportait le culte et se présentait avec tous les objets requis. On commençait d’habitude par aller à la chasse. Car la chasse était considérée comme le « thermomètre » des relations entre hommes et esprits. Les animaux chassés étaient les « chiens » des esprits 3 . Si la chasse rapportait quelques antilopes, on pouvait alors procéder à l’initiation. Celle-ci consistait essentiellement en une confession publique répudiant tous les charmes nocifs et même protecteurs, avouant les méfaits de sorcellerie qu’on croyait avoir commis, suivie de l’absorption par tous les villageois, femmes et enfants compris, d’une potion magique composée d’un mélange de fibres d’arbre broyées et mélangées avec du sel 1 , de l’huile de palme et d’autres ingrédients. Parmi les écorces, on trouvait celle de l’arbre servant pour l’oracle du poison (kipom). Si quelqu’un tombait malade, on attribuait ce fait à la qualité de sorcier du malade qui aurait, soit caché des charmes, soit omis de confesser qu’il était sorcier. Le malade qui mourait était considéré comme sorcier et sa dépouille traitée comme telle. Le plus souvent le malade se confessait. Dans ce cas, on lui donnait un antidote à boire après le paiement d’une amende.

Ensuite, on construisait le sanctuaire du culte, une case semblable à celle du charme protecteur (nkiin), et on annonçait les interdits frappant tous les villageois sous peine de rendre le culte inefficace. Si par hasard un interdit était transgressé, on pouvait se racheter en payant une amende aux dirigeants du culte ou en jetant une pièce de monnaie sur le toit de la case du culte.

Puis on nommait les dignitaires du culte parmi les villageois et pour chaque titre, le titulaire du village initiateur initiait à ses fonctions le titulaire du village récipiendaire, et ce, contre paiement. Parmi les dignitaires, on comptait les chefs du culte, les gardiens de la boisson, les fabricants de la boisson, les guérisseurs, les sonneurs de cloches qui éloignaient les sorciers, etc. Le rituel d’initiation était accompagné de danses et de chansons spéciales. Le tout durait plusieurs jours.

Après initiation, et soit à des intervalles irréguliers dictés par la malchance à la chasse, une mort, un rêve prémonitoire, un décès dû à la foudre ou au léopard, soit à des intervalles réguliers, à chaque nouvelle lune, ou avant les grandes chasses, on procédait à des rites de renouveau appropriés, comprenant la bénédiction des outils pour la chasse ou l’agriculture, l’onction du corps avec une pâte similaire à la potion bue lors de l’initiation ou même au renouvellement du rituel de l’absorption de la potion par tous, le tout accompagné des danses et de chansons appropriées. Les détails du culte changeaient souvent, non seulement pendant la transmission, mais surtout du fait que les rêves de visionnaires inspiraient des chants nouveaux, avertissaient des dangers à venir, suggéraient des variations au rituel 1 . Le culte restait donc dynamique et vivant.

Notes
2.

TORDAY décrit un charme de chasse appelé Tembo comme étant d’une « grande importance ». Le charme consiste en une statuette. Hilton SIMPSON, compagnon de Torday aurait acheté une de ces statuettes qui se trouve actuellement au British Museum. La notice qui l’accompagne parle de Tambo, en bushoong Taam. « Cette statue était conservée dans une petite hutte sur une des places du village. Cette hutte était entourée d’un enclos formé par une seule liane, tandis qu’au bout de la rue ou de la place où elle se trouvait, on avait érigé une barrière de branchages entrelacés. Les rites préparatoires à la chasse comportaient le sacrifice sanglant d’une chèvre volée dans un autre village. Un autre rite préparatoire consistait à apporter la statue au pied d’un arbre avec une poule vivante à ses côtés ». ( VANSINA, « Les mouvements religieux kuba… », op.cit., p.162-163) Cette description est proche de celle d’Omotamba, charme qu’on rencontrait chez les Tetela vers 1923 : « Le charme était employé contre la sorcellerie aussi bien que pour la chasse. Il comportait un mélange d’ipweemy (epomi) et d’etshidia (appelé aussi omotamba, d’ou le nom du charme) […] Le charme était gardé dans une case située au centre du village et entourée d’un enclos ». (VANSINA, « Les mouvements religieux… », op.cit., p. 164-165) Le Lukoshi, comme nous le verrons, est aussi un charme contre la sorcellerie et utilisé pour la chasse. Il est aussi gardé dans un enclos ou une case à la place du village.

3.

VANSINA, « Les mouvements religieux… », op.cit., p. 166.

4.

Pour bien comprendre cette problématique, il faut lire attentivement le chapitre 11 de ce travail qui explique les croyances religieuses des Ding orientaux et montre la place que la sorcellerie y occupe (Cf. supra)

1.

À part l’étude de Struyfqui, d’ailleurs, a pour but de démontrer que le Lukoshi est une dangereuse secte xénophobe, aucun autre missionnaire, ni de Pangu ni d’Ipamu, n’a abordé la question de ces cultes « anti-sorciers » qui, apparemment, pullulaient chez les Ding orientaux et leurs voisins.

2.

C’est cette même procédure qui était suivie par les Ding orientaux pour inviter un « Ngang Munkyar » (Cf. supra, p. ). C’est de la même manière que les villages procèdent encore aujourd’hui quand il s’agit d’inviter un prêtre réputé « enlever la sorcellerie ».

3.

Cf. supra, p.

1.

Cette potion magique, les Ding orientaux l’appellent « kiboo ». On le retrouve dans plusieurs rituels et souvent l’initié ou le malade doit le consommer trois fois (ou le multiple de trois). Struyftraduit faussement ce terme par amende.

1.

Informations reçues de Mungangwey Wihlem, Mavula Thomas, Kanzey Nicolas, Mpete Kalombo Apollinaire et Kapia Oscar, à Pangu, le 7 septembre 2003.