3. 1. 2. Le Lukoshi chez les Ding orientaux

L’Administrateur territorial Weekx qui a enquêté dans le territoire de la Kamtsha-Lubwe nous renseigne : « Nous trouvons les premières apparitions du lukusu en territoire de la Kamtsha-Lubue vers l’année 1931. Il est introduit par un mundjari des environs de Basongo (territoire des Bashilele) appelé Kumangungu au village Pangu sur Kasaï. Au courant de cette même année un certain Lele des environs de Sanga-Sanga (Brabanta) introduit le lukusu au village de Ibinga, petite agglomération de Badinga située près du centre commercial de Lubue (Dibaya). Pangu et Ibinga sont donc les deux centres de rayonnement du lukusu en territoire de la Kamtsha-Lubue. » 2 .

C’est donc par les rives du Kasaï (à Pangu et Ibinga près de Lubwe) et par le biais des Nzadi que le Lukoshi fait son entrée chez les Ding orientaux. Ceci n’a rien d’étonnant. Nous avions déjà signalé que les Nzadi étaient les principaux vecteurs des innovations culturelles de la région parce que, avec leurs pirogues, ils étaient constamment en mouvement et étaient en contact presque permanent avec les autres populations en amont et en aval du pays des Ding orientaux 3 .

Au cours de l’année 1932, le Jésuite Struyf rencontrait les partisans du Lukoshi à Ngienkung. Il avait failli perdre la vie en tentant de détruire le « fétiche ». En 1933, le missionnaire publiait un article décrivant ce mouvement 4 . À propos de l’arrivée du culte à Pangu, il écrivait : 

‘Le Lukoshi a pris naissance chez les Bashilele, peuplade la plus guerrière et la plus revêche à l’état, qui fournit la presque totalité des remèdes indigènes de la Loange-Kamtsha. Un de ces remèdes consistait à boire une mixture préparée avec l’écorce pilée d’un certain arbre de la forêt. C’était une sorte de panacée universelle qui devait délivrer de toutes les maladies, protéger contre le « ndoki » ou jeteur de sort, permettre d’avoir beaucoup d’enfants, etc. et tout cela pour un prix minime, variant d’un à deux francs. Mais, après avoir par de multiples expériences, constaté que ce remède ne faisait du bien à personne, si ce n’est à la bourse du sorcier-pharmacien, les indigènes habitant la Loange et la Lié l’abandonnèrent. Toutefois, vivre sans remède est une impossibilité. Il fallait donc en trouver un nouveau. La peuplade des Badinga entendit parler de la nouvelle panacée, plus excellente que la précédente, qui jouissait d’une vogue soi-disant justifiée chez les fameux Bashilele et cela depuis deux ou trois ans déjà. Une députation de cette peuplade dont le centre principal est Pangu, ancienne station des Pères de Scheut, fut envoyée chez les Bashilele pour leur demander de construire un sanctuaire à Pangu et d’initier aux mystères du Lukoshi toute la population. Les Bashilele y consentirent, mais non pour rien. On a beau être Noir, on n’est pas moins « business-man ». Les Badinga devaient payer 15 barres de cuivre (300 fr. environ) et, durant huit jours, tous les Bashilele séjourneraient à Pangu et seraient logés et nourris par les habitants. Ceux-ci acceptèrent les conditions et l’on commença les travaux 1 .’

De Pangu, le Lukoshi avait d'abord gagné tous les villages de l’entre Loange-Lubwe jusqu’au parallèle de Balaka. Ce parallèle n’était pas dépassé jusqu’en novembre 1932. De Pangu, il avait aussi essaimé sur la rive gauche de la Lubwe en passant par Bambudi et Binko-Musese pour atteindre la chefferie des Badinga de Ntor 2 .

De Ibinga (Ibing) le Lukoshi s'était ensuite répandu dans la chefferie des Badinga Munken a Mbel et d’ici il aurait atteint la chefferie de Ngwi.

Dans la chefferie Ntor, Kasangunda allait devenir un nouveau centre de diffusion. De ce village le Lukoshi était introduit à Kintshwa. L’administrateur Weekx allait trouver une vipère chez le Munken de Kintshwa. Ce chef avait été relégué à Feshi où il mourra plus tard.

De la région de Kintshwa, le culte allait s’étendre chez les Ding de l’ouest, chez les Mbuun, les, Lwel, etc.

Le long de la Lubwe les Ding des environs de Mayanda contribuaient à étendre le culte chez les Wongo et les Mbuun de la région de Mwilambongo. Le mouvement allait se répandre comme une traînée de poudre chez tous les voisins de Ding orientaux. L’Administrateur territorial Weekx note : « Au courant du mois de juin 1933 toutes les tribus du territoire de la Kamtsha-Lubue (Balori – Badinga – Banguli –Babunda) avaient adhéré à la secte du serpent à l’exclusion des indigènes habitant l’entre Lubue-Loange au nord du parallèle de Balaka. Vers le mois de juillet les Badinga et les Bahongo de cette dernière région prennent pour une seconde fois le buanga 3 (lors de l’administration de buanga en 1931 le serpent ne figurait pas parmi les attributs) et l’introduisent chez les Bashilele de la rive droite de la Loange » 4

Au contact des Ding orientaux et leurs voisins, le Lukoshi allait enrichir son rituel et se métamorphoser.

Notes
2.

Weekx, lettre au Commissaire de district, Idiofa, le 17 octobre 1933, AMBAE- AAF, AIMO/ II.Q.5.A

3.

Cf. supra.

4.

STRUYF, « le Lukoshi »…, op. cit., p.295-297.

1.

STRUYF, « le Lukoshi »…, op. cit., p.295-296.

2.

WEEKX, Lettre au commissaire de District..., op.cit.

3.

Le mot « buanga » vient du ciluba, il désigne le charme, le fétiche ou le culte. Les agents de l'État le traduisent en kikongo par « nkisi ».

4.

WEEKX, Lettre au commissaire de District, le 17 octobre 1933, AMBAE, AIMO/II.Q.5.a