3. 3. KABENGABENGA

D’après Vansina, un certain Bopanga Mukeba, un Kuba de Koonc vers la basse-Lubudi, visionnaire depuis 1940, avait tenté dès 1947 de convaincre les gens du village de se rallier à un nouvel esprit Miko miYool et au culte qui lui était dû 3 .

En 1949, le village commençait à l’écouter et, dès 1950, le culte s'était répandu rapidement. Il se manifestait comme une transformation profonde du Lukoshi. Il restait à la base un rite d’initiation où l’on buvait une boisson comprenant toujours quelques éléments du poison employé pour l’oracle du poison. Mais les titres étaient transformés et les statuettes supprimées. La case qui servait de sanctuaire était remplacée par l’enclos dans lequel se trouvaient plantés un arbre nkinda, un bananier, un glaive de guérisseur kuba et un hygromètre de chasse. L’hygromètre consistait en une nervure de palmier plantée en terre, à laquelle était attaché un coquillage suspendu à une ficelle. Le coquillage renfermait un peu de terre mélangée avec le Kaolin et le tukula, mais il n’était pas rempli. Si, au matin, le coquillage touche le sol, la chasse promet d’être fructueuse et les esprits sont contents du village. Le mécanisme de l’hygromètre était simple : après une pluie, le coquillage se remplissait et s’alourdissait, tandis que la nervure du palmier se courbait. L’instrument indiquait réellement si la chasse sera fructueuse, parce qu’une chasse en terrain encore humide permettait de mieux traquer les animaux et de ralentir le gibier. Souvent les prédictions se réalisaient donc.

En 1950, le culte se répand dans les territoires de Mweka, Kole, Dekese, Port Francqui (Ilebo), Idiofa et Oshwe. À Ngel Ilebo, près de Port Francqui, un autre prophète transforme le nom de l’esprit en Kabalanga. Le rite de l’installation comprenait l’érection du filet près de la case du chef du village. Les titulaires qui administraient le culte aux villages demandeurs se trouvaient au milieu du filet. Les néophytes jetaient leurs anciens charmes à l’eau avant d’entrer dans l’espace du filet, ils abjuraient la sorcellerie et recevaient une pincée de la potion. La potion et le premier rite s’appelaient Kabengabenga dès le début de 1951. Cette même année, un nommé Mishongo de Ngel Ilebo, transforme le nom du culte en Kabengabenga 1 . Lorsque le culte arrive chez les Lele en 1952, ceux-ci introduisent un interdit important : enterrer les chiens morts comme des personnes, « car le chien a amené le Kabengabenga » 2 . Le chien reçoit de la considération parce qu’il « voit » (sent) ce que les gens ne voient pas. Le culte fait une place importante à la chasse et aux rêves. Il permet de réconcilier d’anciens ennemis en prouvant qu’ils ne se nuisaient pas mutuellement par sorcellerie, puisqu’ils prenaient le Kabengabenga ensemble.

C’est à partir des Lele que le Kabengabenga arrive chez les Ding orientaux, d’abord dans les villages de l’entre Loange-Lubwe et puis dans l’entre Lubwe-Piopio. Ici, on interdit de frapper le chien et on exige qu’on l’enterre comme une personne. Le culte reste étroitement associé à la chasse et régulièrement, on renouvelle le rite d’initiation au cours duquel les sorciers se débarrassent de leurs charmes 3 .

Tout au long de ce chapitre, nous avons montré les différentes attitudes adoptées par les Ding orientaux face à la modernité chrétienne et occidentale qui s'était imposée à eux depuis l'arrivée des missionnaires dans leur territoire. Ces attitudes variées et parfois contradictoires soulignent le dynamisme des traditions ancestrales qui n'ont cédé à l'énoncé chrétien que quelques parcelles périphériques de leur terrain . Elles ont renforcé leur main mise sur des domaines où les missionnaires n'accordaient que peu d'intérêt: : ceux de la sorcellerie et du culte des ancêtres. Ces deux points restent encore problématiques aujourd'hui dans le travail d'inculturation du christianisme.

Le chapitre suivant traitera de ce que l'indigène a retenu du missionnaire et de son action.

Notes
3.

VANSINA, « Les mouvements religieux kuba... », op.cit., p. 168 ; lire aussi VANSINA, « Miko miYool, une association religieuse kuba » in Aequatoria, XXII, 1959, n° 2, p. 17.

1.

DOUGLAS, M., The Lele of Kasaï, Londres, 1963, p. 208-209 ; Centre pastoral d'Idiofa, Construire une Église..., op.cit., p. 36.

2.

DOUGLAS, M., The Lele of Kasaï..., p. 214

3.

Informations de Bilukwa Denis, Ngyenkung, le 12 septembre 2003.