2. 1. LES MISSIONNAIRES VENUS DE L'AMONT

Tous les témoins interrogés à Pangu retiennent que les Pères qui ont fondé la Mission venaient « d'en haut » (nta), c'est-à-dire de l'amont de la rivière Kasaï. Aucun de mes interlocuteurs n'a désigné une localité précise de laquelle les missionnaires seraient partis. Tous affirment aussi que c'est vers l'amont que les Pères se sont dirigés lorsqu'ils ont évacué Pangu. Ils ignorent que ces missionnaires venus de l'Est étaient des Scheutistes. Nul n'a retenu le nom d'un de ces missionnaires qu'ils disent pourtant robustes et barbus. Personne ne m'a dit avec exactitude pendant combien d'années les Pères sont demeurés au poste, ni pourquoi ils sont venus s'installer à cet endroit. Ces questions leur paraissaient sans importance. À la question de savoir qui avait donné l'autorisation aux Scheutistes d'occuper le terrain sur lequel ils avaient bâti leur maison d'habitation, leur réfectoire, leur chapelle et leur hôpital, deux représentants de deux clans différents ont chacun revendiqué que c'était son ancêtre qui a négocié avec les « Blancs de Dieu ». Une vive altercation a mis aux prises les deux personnes qui, comme nous le révélera plus tard l'animateur pastoral, responsable de la communauté chrétienne, sont, depuis un certain temps, en conflit pour la délimitation de leurs possessions terriennes.

Lorsque nous leur avons demandé quelle était la contrepartie payée par les missionnaires contre la cession du terrain par les natifs, les deux protagonistes étaient d'accord pour déclarer que leurs ancêtres n'avaient rien reçu.

Concernant les activités des missionnaires tous nos interlocuteurs ignorent l'existence de l'école qui fonctionnait sur place et celle de Mangaï ; ils ne nous ont rien révélé ni à propos de la formation des catéchistes ni sur celle des catéchumènes. Ils ont, cependant, insisté sur les effets du baptême conféré par ces missionnaires venus de l'amont : ce sacrement était censé procurer, comme nous l'avons déjà indiqué, la longévité à ceux qui l'obtenaient. Cette performance était due au fait que l'eau utilisée pour ce baptême était « l'eau du Jourdain » (Masa ma Yurdani). Cette affirmation, nous l'avons entendu partout. Mais à la question de savoir ce que signifiait « le Jourdain » et où il se trouvait, à part l'un ou l'autre catéchiste ou enseignant qui ont déclaré que c'est une rivière du pays de Jésus, tous les autres enquêtés ont dit que les missionnaires gardaient secret l'emplacement de ce lieu.

Quelques-uns de nos informateurs nous ont dit que pour assurer une longue vie à leurs chrétiens et les protéger contre les attaques des païens (entendez aussi sorciers), les Pères leur donnaient de l'eau bénite dans laquelle ils ajoutaient une pincée de sel. Ils accusent les Pères Oblats d'avoir supprimé cette pratique qui était encore courante à l'époque des Jésuites.

À Pangu même, les témoins reconnaissent que les Pères avaient un bateau et ils nous ont indiqué l'emplacement du port et le chemin que les Pères empruntaient pour le rejoindre. Ils ont aussi déclaré que les Pères venus de l'amont étaient des chasseurs d'hippopotames et d'éléphants : ils avaient des jumelles pour traquer ces animaux à partir du balcon de leur maison. Le récit le plus étonnant est celui de la raison de l'abandon de la Mission par les Scheutistes.