3. 4. LES RELIGIEUSES VOLEUSES D’ENFANTS

Nous avons vu qu'à Ipamu comme à Mwilambongo, les Sœurs portent une attention particulière à la maternité des femmes et à la santé de leurs nourrissons. Les gens s'interrogent sur la gratuité du dévouement des religieuses. Derrière l'apparent désintéressement de leurs actions en faveur de l'enfance, ne cachent-elles pas des intentions secrètes ? De ce questionnement est né le mythe d'enfants volés par les religieuses. Chaque année, il circule, dans la région, des histoires d'enfants nés avec des signes mystérieux et volés par les Sœurs qui les renferment dans des caisses et les expédient en Europe. Là, ces génies, une fois adultes, mettent leur intelligence au service des Blancs. Ces légendes se transforment, à certains endroits, en certitudes, difficiles à démentir. L'exemple de la persistance de ces croyances nous est donné par le mythe créé autour de la mort de Jean Mungele. Les sources écrites nous donnent toutes les indications biographiques sur cet homme, ordonné diacre au Grand Séminaire de Mayidi en 1943 et mort vers 1946 à Léopoldville à la suite d'une tuberculose. Mais les récits populaires l'ont transformé en prophète, tué par Mgr Bossart selon certains, né avec des signes miraculeux et volé par les Sœurs d'Ipamu, selon d'autres. Cette deuxième version de la légende dit :

‘Une femme Mbuun, originaire du village Ingungu Matende, près d'Idiofa était enceinte et s'était rendue à Ipamu pour attendre l'accouchement. Une nuit, dans son sommeil, elle vit en songe le fils de ses entrailles. Celui-ci lui demandait de quitter la Mission et d'aller accoucher dans son village. Car, disait l'enfant, «  si tu me mets au monde ici, tu me perdras, tu ne me verras plus ». La femme ne prit pas au sérieux cet avertissement. Elle accoucha à la maternité d'Ipamu et le bébé était un garçon. Celui-ci était un être exceptionnel. Il portait des marques d'écriture et des signes de croix sur son corps. Il avait une Bible entre ses mains. Lorsque les Sœurs européennes qui travaillaient à la maternité se rendirent compte du caractère extraordinaire de cette naissance, elles en avertirent les Pères et une décision fut prise pour que l'enfant soit envoyé en Europe. On l'emballa et le plaça dans une caisse hermétiquement fermée. Les Pères l'acheminèrent rapidement à Léopoldville et de là, l'embarquèrent dans un avion. Les Blancs d'Ipamu prétextèrent que l'enfant, nommé Jean Mungele, était mort et avait était enterré. Mais le jeune enfant réapparut plusieurs fois en songe à sa mère pour lui annoncer qu'il n'était pas pas mort, qu'il vivait au pays des Blancs et qu'il reviendrait un jour libérer ses frères Noirs de la domination européenne.’

Dans les années qui ont suivi la fin de la rébellion muleliste (1964-1967), à Ingungu Matende chez les Mbuun, Jean Mungele a été élevé au rang de prophète et un culte lui est rendu : Nzeem a Dza Ongel (le dieu (ou la religion) de Jean Mungele). Vers les années 1977, un des fondateurs de la secte Nzambi Mpungu, un certain Biebie, alias Masiya ou Manunga, se fait passer pour la réincarnation de Jean Mungele. Au panthéon du mouvement politico-religieux Palu ya Mafuta, une version de la secte Nzambi Mpungu, Jean Mungele trône à côté de Patrice Lumumba et de Pierre Mulele.

Les légendes d'enfants volés par les religieuses sont nombreuses. Les Sœurs se livreraient à cette pratique, soit pour vendre les génies à leur pays et empêcher les Noirs de connaître les secrets des Blancs, soit pour compenser leur manque d'enfant.