5. SECRET DE LA CONFESSION

Nous nous sommes enfin entretenu avec nos interlocuteurs de ce que les chrétiens de l'époque des Scheutistes et des Jésuites pensaient de la confession. D'emblée, les premières réponses qui nous ont été données étaient pour nous faire croire que ce sacrement était accepté sans problème et que les gens allaient sans hésitation rencontrer le Prêtre. Après insistance et quelques questions astucieuses, des considérations opposées aux premières ont été émises. Nos interlocuteurs nous ont révélé que beaucoup de natifs fuyaient la confession car, il existait chez eux, une peur de se confier à l’étranger blanc, fusse-t-il missionnaire. La discrétion des missionnaires et le respect du secret de la confession étaient remis en cause. Les Pères étaient accusés de travailler de connivence avec les Blancs de l'État (Bula-Matari). Il circulait parmi les autochtones de nombreuses rumeurs concernant des personnes qui auraient été arrêtées et emprisonnées parce que dénoncée par un confesseur. Parmi ces rumeurs qui circulaient, une rapportait à peu près ceci :

‘Un chrétien rusé qui voulait s'assurer que le missionnaire ne trahissait jamais le secret de la confession, égorgea son chien et aspergea du sang ses habits. Il enveloppa l'animal dans un drap blanc et lui donna une sépulture quelque part en forêt dans un endroit caché. Le soir venu, il alla se présenter au Père de la mission avec ses habits ensanglantés. Il demanda à se confesser. Au confessionnal, le rusé se mit à sangloter faisant croire au prêtre qu'il a commis un péché grave : il a tué un homme et il a dissimulé son corps quelque part dans le maquis. Le Père l'interrogea, comme il le faisait habituellement pendant de longs moments et lui fit absoudre ses péchés. Le rusé pénitent parti, le Père s'empressa d'aller le dénoncer auprès l'autorité de l'État (Bula-matari). Le lendemain, au grand matin, la police se présenta au domicile du « présumé homicide ». Il fut arrêté et conduit chez le Blanc de l'État. Celui-ci interrogea l'inculpé qui, voulant jouer sa comédie jusqu'au bout, avoua les faits et obtint, parce qu'il était chrétien, que le Père de la Mission, soit présent au déterrement du cadavre. Le Père, l'agent de l'État, les policiers et de nombreux badauds se retrouvèrent à l'endroit où « le corps » aurait été enterré. On effectua l'excavation et à la surprise générale c'est un chien enveloppé dans un drap blanc qu'on sortit du sol. C'est ainsi qu'un pénitent confondit un Père 1 . ’

Au-delà de la simple question du secret de la confession, ce récit pose le problème fondamental du rapport entre mission et État, vu du côté des autochtones. Comme nous l'avons écrit ailleurs, dans l'esprit de beaucoup de gens du peuple, « la confusion entre l'ordre étatique et l'ordre ecclésial était grande : la différence entre un agent blanc de l'État et un missionnaire n'était pas facile à faire. L'un et l'autre étaient des « Blancs », l'un et l'autre maniaient la « chicotte ». Ils appartenaient tous deux à la caste de ces « étrangers » venus d'on ne sait d'où, pour chercher on ne sait quoi, dans ce pays qui n'était pas le leur » 1 .

La complicité entre les Blancs était perceptible au quotidien : lorsque le « Bula-Matari » venait à la Mission , il logeait, buvait et mangeait chez les Pères et les Sœurs ; et ils causaient pendant de longues heures. Que se disaient-ils sinon ce que les Pères avaient entendu au confessionnal ? Il était normal dans un tel contexte que le doute puisse entacher le secret de la confession. Toutes sortes d'autres soupçons pesaient sur les rapports que l'État entretenait avec la mission.

Les Jésuites étaient conscients du préjudice que pouvaient causer une trop grande familiarité entre les missionnaires et les agents de l'État ou même tout autre Européen.

Les Supérieurs exhortaient leurs missionnaires à faire preuve de prudence et de réserve avec tous les Blancs et particulièrement avec les Blanc de l'État 2 . Ils savaient que les autochtones n'étaient pas dupes, ils surveillaient et spéculaient sur les faits et gestes des missionnaires. Le Recueil d'Instructions aux missionnaires consacre trois pages entières à la question des relations de Missionnaires avec les autres Blancs de la colonie. Au point 21, il est noté : « Toutefois ils (missionnaires) se souviendront du dicton : « Si vis esse carus, sis rarus ». Ils éviteront les visites et les réunions trop fréquentes. Jamais ils ne se départiront de la réserve que leur impose leur état et ne se mettront avec qui que ce soit sur le pied de la camaraderie » 3 .

Tout au long de ce chapitre, nous avons essayé de montrer comment les Ding orientaux ont perçu le missionnaire blanc et son action. L'image du missionnaire (ou du Blanc) construite par l'indigène, reste à la fois prisonnière des antécédents historiques et des a-priori culturels et religieux. Comme les Européens qui ont abordé le monde africain avec leurs préjugés culturels, les autochtones ont eux aussi perçu le monde occidental et ses représentants avec leurs propres lunettes. C'est ici que se situe le véritable « malentendu colonial » 1 : affrontement de deux logiques contradictoires. En réalité, l'histoire de la période coloniale et missionnaire comporte deux itinéraires parallèles : une histoire vécue et racontée par les Africains et une autre vécue et racontée par les Européens.

Notes
1.

Ce récit est raconté un peu partout dans le diocèse d'Idiofa et au Congo, mais personne ne sait exactement où et quand de tels faits se sont produits. L'authenticité de cette relation n'est prouvée nulle part.

1.

NKAY, « L'Église catholique, le peuple... », op.cit., p.300.

2.

Le Père Allard écrit au Vicaire apostolique à propos de la conduite du Père Lambrette qui avait été à Ipamu : « Je crois de mon devoir de vous dire ensuite que la réputation du R. P. Lambrette qui a vécu dans ces parages n'est pas intacte au point de vue sobriété, activité apostolique, familiarités excessives avec certains Européens ».( Rapport au Vicaire Apostolique sur la Mission d'Ipamu, le 22 mai 1931)

3.

Recueil d'Instructions..., op.cit., p. 10.

1.

Le malentendu colonial est le titre d'un film produit et réalisé par Jean-Marie Teno, Documentaire – Cameroun / France / Allemagne – 2004. Ce film, projeté à Mâcon le 28 janvier 2006 par l'association « L'Embobiné », a fait l'objet d'un débat intéressant auquel nous avons été convié.