Expliquer que l'on travaille sur le « monde rural » 15 et que l'on s'intéresse au patrimoine lorsque l'on est ethnologue, c'est parfois courir le risque de se voir coller virtuellement sur le front une étiquette quelque peu encombrante, qui fait du chercheur une sorte de spécialiste des traditions ou encore d'amateur de coutumes locales en voie de disparition.
Pourtant, je 16 voudrais tenter d'expliquer ici pourquoi certains territoires ruraux comme celui des Bauges, loin de n'être à mes yeux que des espaces préservés et susceptibles de receler d'inestimables vestiges du passé, me sont apparus comme des lieux novateurs, porteurs d'une forme de réflexion et d'interrogation sur notre propre société qui ne peut qu'interpeller celui qui s'y intéresse. De nouvelles façons de penser l'espace et le temps s'y élaborent et en ce sens, ce sont davantage à mes yeux des laboratoires où se construisent les modes de sociabilité contemporains que des espaces dépendants et vaguement retardataires.
Pour cela, après avoir présenté mon terrain d'enquête, le canton du Châtelard, dans le Massif des Bauges, je tenterai de montrer quelles sont les caractéristiques qui en font un espace d'innovations où se dessinent peut-être des tendances de fond de notre société en général.
Je présenterai ensuite la méthode que j'ai adoptée pour mener cette recherche, en commençant par décrire ma situation et mon positionnement sur le terrain au travers d'un passage narratif, avant d'expliquer comment la posture adoptée m'a permis d'accéder à une certaine compréhension de ce qui se jouait en Bauges.
L'expression est souvent employée, mais « le monde rural » existe-t-il ? Qu'y a-t-il en effet de commun entre les grandes plaines céréalières de la Beauce et le massif des Bauges, mis à part le fait de ne pas pouvoir être englobés dans la catégorie urbaine. Par ailleurs, où commence le monde rural quand l'orbite des villes s'étend de plus en plus loin de leur centre ? Il serait sans doute plus juste de parler des espaces ruraux, même si ceux-ci sont définis surtout en opposition à la ville.
J'ai choisi d'utiliser le pronom « je » plutôt que le « nous » académique car celui-ci, en effaçant quelque-peu l'existence du chercheur en tant que personne, ne me paraissait pas approprié pour décrire un travail ethnologique de terrain tel que celui que j'ai mené.