Le massif des Bauges est situé dans les Préalpes du Nord, à cheval sur les départements de Savoie et de Haute-Savoie. Son plus haut sommet, l'Arcalod, culmine à 2217 mètres. Bien que proche des villes de Chambéry, d'Aix les Bains, d'Annecy et d'Albertville, il y est encore aujourd'hui relativement méconnu (et ne parlons pas des villes plus lointaines telles que Grenoble ou Lyon où il faut généralement préciser « pas les Vosges, les Bauges »). Les campagnes de promotion initiées par le Parc naturel régional ont certes augmenté sa notoriété, mais il demeure fréquent que des Anneciens skient au Semnoz ou des Chambériens à la Féclaz sans savoir que ces lieux font partie du massif des Bauges. Ce déficit de connaissance qui est, nous le verrons, assez ancien, tire peut-être ses origines de l'aspect du massif. Celui-ci apparaît, lorsqu'on le contemple de l'extérieur, sous l'aspect de falaises de calcaire à l'allure de murailles infranchissables, à l'exception notable du versant annecien, plus doux. Il est difficile d'imaginer qu'un pays accueillant puisse s'y cacher.
A vrai dire, parler des Bauges laisse planer un certain doute sur le territoire désigné, puisque ce nom peut aujourd'hui s'appliquer à trois territoires différents.
Ce feuilletage des territoires est un sujet de préoccupations pour les chargés de mission du Parc naturel régional, puisqu'il cache un problème de légitimité territoriale. Pour les personnes les plus âgées, les habitants des Bauges, les Baujus ont une réputation particulière. De nombreux proverbes les stigmatisaient autrefois comme des ruraux un peu frustres, et surtout, durs en affaire : « Bauju traître, voleur goulu, c'est toi fripon, voilà ton nom » ou « mieux vaut une taupe dans son jardin qu'un Bauju pour voisin ». Aussi, les habitants des alentours du massif n'aiment pas beaucoup être assimilés aux Baujus, et m'ont souvent fait part, lors des entretiens que j'ai pu mener avec eux, de leur étonnement : « On est dans le Parc des Bauges, maintenant. Mais nous, on n'est pas des Baujus. ». De la même façon, les habitants du canton du Châtelard, c'est-à-dire de la zone traditionnellement appelée Bauges, ne comprennent pas que le Parc englobe un territoire aussi grand : « Et oui, les Bauges, c'est très grand, maintenant, ça va jusqu'à Saint-Pierre-d'Albigny. Mais pour nous les Bauges, c'est quand même les 14 communes ». Le Parc naturel régional a engagé des campagnes de promotion pour faire connaître le Massif des Bauges, dans le double but de lutter contre son déficit de notoriété à l'extérieur et de promouvoir ce territoire aux yeux de ses habitants et de ses acteurs socio-professionnels.
J'ai choisi de mener mon travail de terrain dans le canton du Châtelard, donc dans les fameuses quatorze communes de ce qui était autrefois la vallée des Bauges. Ce territoire m'a semblé présenter plusieurs caractéristiques intéressantes. Situé au centre du massif - il est appelé « coeur du massif » dans la terminologie du Parc naturel régional -, il est par conséquent le plus éloigné des villes et des grands axes routiers qui ceinturent les Bauges. Ses habitants mettent au minimum 25 minutes pour se rendre à Aix-les-Bains ou Annecy et 40 minutes pour Chambéry. A l'éloignement s'ajoute une altitude moyenne – les villages sont situés entre 550 et 1000 mètres – mais suffisante pour donner lieu à un climat rigoureux. Ces contraintes le mettent en partie à l'abri des phénomènes de rurbanisation. J'entends par rurbanisation la captation d'espaces entourant la ville par celle-ci, dans le sens où les habitants de ces espaces travaillent en ville et adoptent l'agglomération comme espace de référence 20 . Le lieu dans lequel ils vivent n'a alors pas pour eux de signification particulière. Ils se contentent d'y avoir leur logement et celui-ci court alors le risque de devenir une « banlieue-dortoir ». Dans le cas des Bauges, s'il est exact que de nombreux habitants travaillent dans les villes environnantes, nous verrons que le territoire du canton constitue pour la plupart d'entre eux un référent spatial à part entière, indépendant de celui de la ville.
Le lieu choisi est par ailleurs assez représentatif d'une certaine campagne attractive, lieu de tourisme vert pour de nombreux citadins, attirés par les possibilités de sports de plein air tels que la randonnée en moyenne montagne et par l'étiquette Parc naturel régional. Il est depuis une vingtaine d'années le point de chute d'une immigration. Nombreux sont ceux qui, arrivant de la ville ou d'autres régions, viennent s'y installer. Sa population, après le creux du début des années 1980, augmente donc assez fortement pour se rapprocher aujourd'hui des 4000 habitants.
Aillon-le-Jeune, Aillon-le-Vieux, Arith, Bellecombe, Doucy, Ecole, Jarsy, La Compote, La Motte-en-Bauges, Le Châtelard, Le Noyer, Lescheraines, Sainte-Reine, Saint-François-de-Sales.
BLANCHARD, Raoul, 1942, Les préalpes françaises du Nord, Arthaud, voir chapitre V (les Bauges).
cf SGARD, Anne, 2001, « L'invention d'un territoire », in : hors série de l'Alpe : Vercors en questions, Glénat, Musée Dauphinois, Grenoble, pp 42-53.
Voir par exemple BAUER, Gérard et ROUX, Jean-Michel, 1976, La Rurbanisation ou la Ville éparpillée, Paris, Éditions du Seuil.