Un territoire aux structures ouvertes

De manière générale, l'une des caractéristiques les plus importantes du canton du Châtelard me paraît être une certaine forme d'ouverture de ses structures sociales et politiques. L'éloignement des centres de pouvoir urbains, auquel s'ajoute une relative déshérence de cet espace qui pendant des années s'est vidé de sa population, en font un lieu dans lequel les modes de vie et de prise de décision ne sont pas définitivement figés. Cette situation permet aux individus de ne pas être trop contraints par des cadres sociaux rigides: profession, origine sociale et / ou culturelle... Cela est visible dans les réseaux sociaux que les uns et les autres entretiennent, mais aussi dans les trajectoires qu'ils sont susceptibles d'effectuer dans l'espace public. Ainsi, de la même façon que les villes ont pu à l'époque de l'exode rural constituer des espaces de liberté pour les migrants, qui provenaient souvent de communautés rurales où le contrôle du groupe sur les individus était très important, les campagnes pourraient bien aujourd'hui se révéler attirantes parce qu'elles procurent une forme de liberté. Tout comme les nouveaux citadins d'autrefois qui souhaitaient échapper à un destin tout tracé (reprendre la ferme familiale) en apprenant en ville un nouveau métier, les néo-ruraux expliquent bien souvent avoir voulu échapper à une vie antérieure qu'ils n'imaginaient plus continuer ad vitam eternam.

Dans les années 1950-1960 les nouveaux quartiers de logement social étaient parfois perçus par ceux qui venaient les habiter comme des espaces nouveaux, dans lesquels la vie ne ressemblait ni à celle du village traditionnel ni à celle des centres urbains. Ils pouvaient ainsi devenir des lieux d'utopies. Leurs habitants essayaient d'y inventer de nouvelles manières de vivre ensemble. Aujourd'hui, c'est le monde rural qui présente une situation inédite. En outre, il s'y concentre une population qui se place de façon plus ou moins volontaire en position de relative marginalité par rapport à ce que l'on pourrait appeler l'économie dominante : des ruraux qui ont fait à contre-courant, consciemment ou non, le choix de rester ou de revenir, et des néo-ruraux qui ont quitté les centres urbains et les grandes voies de communication pour vivre « autre chose ». L'ensemble de ces personnes partagent un choix : celui de vivre différemment. Or, la remise en cause de la société existante constitue la première étape de la pensée utopique.

Les espaces ruraux serait-ils désormais aussi des lieux où s'élaborent de nouvelles réflexions sur l'avenir ? La proposition paraît paradoxale, tant ils ont, pendant des années, fait figure de « conservatoires de archaïsmes ». Pourtant, il me semble qu'elle mérite réflexion. Il ne s'agit pas ici de laisser entendre que les campagnes seraient d'une manière ou d'une autre intrinsèquement plus porteuses d'avenir que les villes, mais bien de s'interroger sur le fait qu'elles puissent être aujourd'hui des espaces offrant une forme de disponibilité pour des projets alternatifs et expérimentaux qu'il est relativement difficile de trouver en ville.