Le Parc naturel régional et ses projets patrimoniaux : des sujets de controverses locales

Comme de nombreux territoires ruraux, les Bauges sont actuellement le lieu d'une certaine effervescence en matière de patrimoine. L'un des éléments qui témoignent de la manière la plus visible de l'existence de cette tendance est l'apparition, à la fin de l'année 1995, du Parc naturel régional du Massif des Bauges, dont l'un des buts affichés est la sauvegarde du patrimoine rural.

Mon travail de DEA, en 1999-2000, avait constitué une première approche de ce terrain. Il s'agissait d'une recherche, menée lors d'un stage pour le compte du Parc naturel régional, sur la mobilité et les représentations du territoire dans l'ensemble du massif. J'avais alors été interpellée par plusieurs faits qui ont par la suite constitué le point de départ de ma thèse.

Tout d'abord, le Parc investissait énormément de moyens humains et financiers pour ces projets dits patrimoniaux. Une grande partie des objectifs de sa charte étaient d'ailleurs décrits comme des opérations de sauvegarde du patrimoine naturel et culturel. Or, certains de ces projets suscitaient de toute évidence d'importantes controverses. La mise en valeur des bâtiments de l'ancienne chartreuse d'Aillon ou la labellisation de la Tome des Bauges, si elles pouvaient faire l'objet de discours enthousiastes, provoquaient aussi localement de nombreuses crises dont je percevais les échos. Lorsque je décidai de m'y intéresser de plus près, je partis naïvement du présupposé que la chartreuse, par exemple, devait représenter un symbole important pour les populations originaires des Bauges. Je fus étonnée et déconcertée de constater qu'à quelques exceptions près, elle ne suscitait en fait qu'une certaine indifférence pour la plus grande partie des habitants d'Aillon-le-Jeune. Les autres éléments que je décidai d'étudier semblaient eux aussi quelque-peu en rupture avec ce que vivaient les gens. Aux critiques virulentes de certains sur le coût ou la méthode de ces opérations se joignait une forme de résignation notamment de la part des ruraux de souche qui m'expliquaient à propos de la tome ne pas avoir eu le choix et qui semblaient considérer les campagnes de communication menées sur le massif comme leur étant parfaitement étrangères.

Le Parc naturel régional lui-même faisait régulièrement l'objet de critiques de la part de ses habitants qu'ils soient de souche ou néo-ruraux. Étant lors de mon DEA stagiaire de cet organisme, je me présentais à mes interlocuteurs comme menant une recherche commanditée par celui-ci. Il n'était pas rare qu'à la fin de l'entretien, au moment où j'éteignais le magnétophone, les questions et les remarques commencent à fuser. On me demandait parfois avec une certaine prudence ce que je faisais exactement au Parc, ce que c'était que cette institution, combien de personnes y travaillaient et quelles étaient leurs missions. Mais certains de mes interlocuteurs ne prenaient pas ces précautions et l'un d'entre eux m'affirma même de but en blanc « Je vous ai raconté tout ça parce que vous êtes étudiante. Quand vous m'avez dit que vous étiez étudiante, je me suis dit "  il faut l'aider  " . Mais si ça avait été pour le Parc, je n'aurais rien raconté du tout. » Au début, je ne prêtais guère attention à ces interpellations. Puis, leur caractère récurrent commença à me faire réagir.

Non seulement les projets patrimoniaux du Parc ne paraissaient pas vraiment fédérateurs localement, mais l'institution elle-même faisait visiblement l'objet de réserves. Comment fallait-il comprendre cela ? Les projets portés par cette collectivité n'étaient de toute évidence pas tout à fait en accord avec ceux de la population qui habitait son territoire. Il restait à déterminer à quel niveau sa politique était mise en cause : était-ce le choix des objets à patrimonialiser qui faisait débat, ou la façon dont ils étaient interprétés ? Nous verrons au cours de ce mémoire que ce sont sans doute les deux.