Sciences sociales et utopie

Enfin, un autre lien me reliait aux habitants des Bauges. Comme je le développerai au cours de cette thèse, une bonne partie de la population du territoire étudié me paraît réunie par le partage d'une forme d'utopie, de cette volonté que j'ai déjà soulignée d'inventer de nouvelles façons de vivre. Or, comme certains auteurs l'ont mis en évidence, il existe un lien entre sciences sociales et utopie ²⁸ . En effet, ces deux pensées se sont développées à l'époque moderne, avec l'idée que l'homme pouvait agir sur la société, et constituent d'abord et avant tout une remise en cause de l'ordre social existant. Le premier mouvement de l'utopie est la critique de la société réelle.

« La pensée utopique, qui se veut d'abord une critique de ce qui est et une proposition de ce qui devrait être, accompagne notamment la naissance et le développement des sciences sociales. Tour à tour, les spécialistes de la société puisent des informations dans les critiques et projections des utopistes pour élaborer leurs analyses, et les utopistes s'appuient sur les analyses des chercheurs pour élaborer leurs critiques et donner forme à leurs projections. Ainsi, pensée utopique et " pensée des sciences sociales " seraient filles d'une même mouvement social-historique, vaste mouvement qui n'est rien d'autre que celui de la modernité. » ²⁹

Et de fait, parmi les habitants des Bauges, nombre d'entre eux manifestaient une grande sympathie pour la recherche en sciences sociales, certains, déjà installés professionnellement, allant jusqu'à reprendre des études en histoire, en sociologie ou en sciences politiques. Je me situais donc dans ce que l'on peut appeler une proximité idéologique avec toute une partie de la population des Bauges. Je partageais avec elle la croyance en la nécessité d'une réflexion sur la société et sur son avenir, et donc d'une remise en cause de l'ordre social existant. Nous avions en commun le fait d'être peu enclins à tenir pour normal et intangible le fonctionnement actuel des institutions.