La situation d' « observation participante »

Ce que je pouvais observer en vivant sur le terrain m'a permis de progresser dans la compréhension de mon objet, en me donnant notamment la possibilité de dépasser le cadre des récits que dans un premier temps, j'avais pu recueillir au cours des entretiens.

Dans le cas de l'entretien, la parole se construit dans une interaction entre deux personnes lors d'une rencontre provoquée pour les besoins de la recherche. La personnalité du chercheur y joue un grand rôle. Celui-ci est à un moment donné de sa rencontre avec le terrain, et pose les questions qu'il juge les plus pertinentes par rapport à la personne qu'il a en face de lui. Par ailleurs, ses intérêts, ses connaissances, sa sensibilité le conduisent à réagir de façon tout à fait unique aux propos de son interlocuteur, et à orienter l'entretien dans une direction qui lui est propre. Deux chercheurs n'auront donc pas la même conversation, ne rebondiront pas sur les mêmes éléments, et ne recueilleront pas exactement le même récit.

De l'autre côté, l'individu interrogé sait qu'il répond à un chercheur et construit un récit en conséquence. Il aura ainsi tendance dans un récit de vie à justifier sa conduite rétrospectivement, ou du moins à la rendre la plus logique possible, à la lumière de ce qui est advenu par la suite 31 . Par ailleurs, ce que la personne interrogée sait du chercheur joue un grand rôle dans la détermination de ce qui sera dit ou tu. Par exemple le fait que je sois une femme plutôt jeune venue de la ville et ayant fait des études supérieures conditionne en partie les réponses qui me seront faites. On me prête certaines compétences, on m'en refuse d'autres. On me suppose plus ou moins capable de comprendre les situations dont on me parle. On évalue les réseaux dans lesquels je me situe pour savoir où les informations que l'on me donne peuvent être diffusées. On peut essayer de répondre à mes attentes, de me faire plaisir en quelque sorte, ou au contraire de me déconcerter, de me montrer que je fais fausse route.

L'observation participante à laquelle je me suis livrée en vivant sur le terrain m'a permis de collecter des données issues d'un champ beaucoup plus vaste. Les actions et les paroles dont j'ai ainsi pu être témoin n'étaient pas produites dans le cadre précis d'une interaction entre le chercheur et un interlocuteur, mais adressées à un public plus large qui ne comprenait pas seulement l'ethnologue, mais bien d'autres destinataires et récepteurs plus ou moins fortuits de ces signaux. La mise en scène, pour employer un terme Goffmanien 32 , visait avant tout d'autres personnes, et je ne faisais que la saisir au passage. J'ai ainsi pu mieux comprendre les règles du jeu, et le rôle des uns et des autres et confronter ce qui m'était dit à ce que j'observais concrètement.

Mon vécu sur le territoire conférait donc à mon appréhension des questions locales d'importantes particularités. C'est pourquoi je n'ai pas jugé possible dans le cadre de ce travail d'établir un parallèle avec un autre territoire de moyenne montagne engagé dans le même type d'évolution comme la Chartreuse ou le Vercors. Ma connaissance du massif des Bauges s'appuyant sur une présence longue, je n'aurais pu me livrer à un véritable travail de comparaison que si j'avais effectué un travail d'observation similaire sur un autre territoire. Pour cela, il aurait fallu que j'y vive plusieurs années. J'ai cependant mené un travail de recherche documentaire sur ces massifs, et rencontré dans chaque cas quelques habitants pour des entretiens. Cela m'a permis de me rendre compte que les mêmes questions se posaient avec cependant des particularités propres à chacun de ces territoires. On y retrouve en particulier un certain sentiment de décalage entre les politiques menées par les Parcs naturels régionaux et les projets et désirs des habitants, ceux-ci se plaignant de ne pas être écoutés et cherchant à développer des formes de démocratie participative.

Notes
31.

Voir à ce sujet POIRIER, Jean, CLAPIER-VALLANDON, Simone, RAYBEAUT, Paul, 1983, Les récits de vie, Paris, PUF.

32.

GOFFMANN, Erving, 1973, La mise en scène de la vie quotidienne, T1 La présentation de soi, Paris, éditions de Minuit.