Pour les néo-ruraux, l'engagement dans la sphère publique répond en partie à un besoin de just ifier sa présence vis-à-vis des habitants de souche.
Même si cela n'est pas exprimé ouvertement, on ressent dans les propos des néo-ruraux un désir de reconnaissance de la part de ceux qui n'ont pas à prouver qu'ils « sont d'ici », et un grande dépendance vis-à-vis de leur regard. Le rêve de tout migrant dans le monde rural est sans doute d'être accepté dans la société qu'il a choisie. Mais cela ne se fait pas sans heurt et les nouveaux venus doivent exprimer leur volonté d'être d'ici. De ce point de vue, le bénévolat dans les associations locales est un bon moyen de montrer son dévouement et son attachement au territoire. En travaillant ainsi gratuitement, en faisant le don de son temps et de ses compétences à la collectivité, chacun peut acquérir son droit de cité. En outre, ce mode d'action permet de se démarquer de ceux qui ont tendance a apparaître comme des mercenaires : agents de développement salariés par tel ou tel organisme, n'habitant pas le territoire, mais payés pour assurer son aménagement, ou politiciens de métier vivant de l'exercice du pouvoir et briguant sans cesse de nouveaux mandats, vis-à-vis desquels une bonne partie de la population exprime sa méfiance.
Ceci dit, tous ceux qui vivent sur le territoire ne sont évidemment pas forcément engagés dans la vie associative ou politique, ou le sont à des degrés divers. Certains, parmi les nouveaux venus proclament même leur intention de ne surtout pas s'engager dans le local. Ils disent craindre les querelles partisanes, l'esprit clanique qui peut régner dans les villages et déclarent vouloir se tenir à distance.
Mais cette neutralité affichée s'avère bien souvent difficile à mettre en pratique. En réalité, il arrive fréquemment que les néo-ruraux entrent rapidement en contact avec les différents groupes en présence et se sentent forcément plus proches des uns ou des autres. Ainsi ce couple d'intermittents du spectacle ayant acheté une maison au Noyer, selon eux tout à fait par hasard, et qui la restaure en m'expliquant ne surtout pas vouloir s'impliquer dans le local. Mais leur profession et leur sensibilité les conduisent rapidement à fréquenter les milieux artistiques du canton, largement engagés à gauche et à participer en tant que musiciens à des évènements culturels mais aussi politiques. Au moment des élections cantonales, le maire vient chez eux plaider la cause du candidat soutenu par le conseiller général sortant, UMP. Il est fraîchement reçu. Le couple s'intéresse visiblement de plus en plus à la politique locale.
D'autres habitants, tout en s'impliquant fortement dans les associations, voire en participant au débat politique lorsque l'occasion se présente, ne veulent pas occuper de fonctions électives. Ils en refusent les responsabilités, ou tiennent à se tenir à distance du pouvoir qui, selon eux, corrompt. Ils expliquent souhaiter contribuer au débat d'une autre manière.
De manière générale, je constate un fort engagement des individus dans la localité. Je ne partage donc pas les analyses de Jean-Didier Urbain, qui considère que la plupart des nouveaux résidents à la campagne désirent avant tout s'y cacher afin de se soustraire au mode de vie urbain trop mobile et « cultiver leur jardin » 126 . Il postule que dans la majorité des cas, ils fuient tout contrôle que la société locale pourrait exercer sur eux. Ce n'est pas du tout ce que j'ai pu observer quant à l'attitude des migrants qui arrivent en Bauges, dont beaucoup semblent au contraire rechercher une forme d'exposition au sein de l'espace public local.
URBAIN, Jean-Didier, 2002, Paradis verts, désirs de campagne et passions résidentielles, Paris, Payot.