Chapitre IV. La patrimonialisation au coeur des débats, quatre exemples baujus

Dans ce chapitre, je décrirai quatre projets visant à créer du patrimoine liés d'une manière ou d'une autre au territoire du canton du Châtelard. Mon travail de terrain m'a permis de me rendre compte de la façon dont ceux-ci étaient perçus et reçus sur ce territoire, et c'est sur cet aspect du problème que je souhaite mettre l'accent.

Le choix des quatre opérations sur lesquelles j'ai concentré mes travaux de recherche s'est fait en fonction de plusieurs critères. J'ai privilégié des projets à la visibilité importante, fortement mis en valeur par les institutions qui les portent ( en particulier par le Parc naturel régional) et dont l'objectif est manifestement de modeler l'image du territoire. D'autre part, dans la mesure où je cherchais à mieux comprendre les tensions qui agitent actuellement ce territoire, à en démêler les enjeux et à éclairer la place et le rôle des différents groupes sociaux en présence dans l’espace public, je devais choisir un éventail de projets qui autant que possible mettent en lumière l'action des uns et des autres. Enfin, comme je l'ai déjà souligné, je me suis intéressée dans le cadre de mon terrain avant tout à ce qui pouvait susciter des conflits, des débats et servir de révélateur à l'existence de conceptions du monde différentes et du caractère dynamique de la société. J'ai donc aussi décidé d'étudier ces projets parce que chacun d'eux à sa manière provoquait des controverses dont l'analyse me paraissait porteuse de sens.

Il m'aurait été difficile d'ignorer la chartreuse d'Aillon, qui constitue le projet-phare des institutions du massif en matière de patrimoine. Menée par le Parc, des collectivités locales et par une association constituée en grande partie d'érudits passionnés par le monument, la restauration du bâtiment a demandé un fort investissement, non seulement en termes financiers, mais aussi en temps et en énergie de la part des personnes engagées. Et cela d'autant plus que quatre organismes sont partenaires pour la gestion de ce dossier, ce qui a nécessité des négociations complexes. Pourtant, les discours enthousiastes du Parc et des médias contrastent étrangement avec l'indifférence polie ou les critiques de la population locale au sujet de ce projet. C'est ce décalage qui m'a d'abord interpellée lorsque j'ai commencé à m'intéresser à cette opération.

Le projet d'obtention d'une AOC pour la tome des Bauges, qui a abouti en 2002, avait l'avantage de poser la question du rôle actuel des agriculteurs au sein du massif et de leur devenir, au travers de la labellisation d’un produit agricole qui constituait manifestement pour eux un emblème : symbole d'une agriculture de montagne, d'un type particulier d'exploitation et d'un savoir-faire transmis depuis des générations.

La réserve nationale de chasse, qui existe depuis 1953 et apparaît aujourd'hui comme l'un des fleurons du territoire du Parc, permettait de se pencher sur la notion de patrimoine naturel, d'autant qu'une « maison faune-flore » a été construite à Ecole-en-Bauges et a ouvert ses portes en 2002. Le thème de la protection de la nature, qui est un des fondements de la création des Parcs naturels régionaux, et l'un des principaux sujets d'opposition entre paysans-chasseurs d'origine locale et néo-ruraux marqués par les idées naturalistes.

Enfin, le rejet par les néo-ruraux du territoire du Parc et de certaines de ses initiatives en matière de communication m'a amenée à me pencher sur la patrimonialisation du territoire lui-même, et en particulier du territoire du coeur du massif, qui joue un rôle si particulier au sein du Parc.

Au sein du travail ethnographique sur ces différents objets s’inscrivent en creux d'autres éléments patrimoniaux. Ce sont des projets abandonnés ou non réalisés, comme ceux qui concernent les grangettes ou l'atelier de mécanique de la Compôte, ou des projets en cours, mais qui ne font pas l'objet d'un soutien institutionnel et d'une médiatisation forte, comme le travail de certaines associations sur le petit patrimoine bâti villageois.