Une autre maladresse vient aggraver la scission avec le monde agricole. Parmi les partenaires de la restauration, certains, et notamment les membres de l’ASCA n’hésitent pas à tenir un discours critique sur les anciens propriétaires de la chartreuse, et plus généralement sur les agriculteurs de la combe de Lourdens, qui, inconscients de la valeur du patrimoine qu’ils détenaient, auraient laissé celui-ci se dégrader, voire auraient contribué à sa destruction, montrant du même coup leur ingratitude vis-à-vis des moines.
Le quotidien La Savoie consacre en 1999 un dossier au « sauvetage » de la chartreuse 166 . Le journaliste écrit :
‘ « La partie du couvent qui resta sur pied fut habitée pendant plus de deux siècles, sans que les propriétaires n’aient le moins du monde conscience de la richesse historique de leur demeure. Destruction des anciennes portes, mur de cheminée abattu pour créer un passage avec la chambre d’à côté, destruction des boiseries et des décorations, etc. Le tableau n’est guère réjouissant. Surtout lorsque l’on sait que les principaux « aménagements », les plus destructeurs, ont eu lieu en 1924 et 1968. »’L’article a beaucoup choqué la famille des anciens propriétaires, les Boyer. Mais le journaliste s’inspirait sans aucun doute des propos de membres de l’association, qui expriment de façon récurrente leur regret que la chartreuse n’ait pas été mieux conservée :
‘« - Et ils ont carrément fait valser 4 voûtes à l'époque. La pièce où on est là, y'avait plus de plancher, plus de plafond, plus rien. En bas, c'était donc, c'est l'entrée en bas, en bas c'était voûté, et là, c'était voûté. ’ ‘Question : D'accord, et en fait, ils voulaient…’ ‘Ils voulaient faire rentrer du neuf, quoi. Alors donc là ici, c'était une chapelle ici. Donc c'était voûté. Y'avait l'entrée, ça a été muré, sous le balcon, là y'avait la grande entrée. En bas c'était donc le porche donc également voûté, la pièce d'à côté, où ils ont fait leur cuisine, c'était voûté aussi, alors naturellement les cheminées et tout ce qu'il y avait là-dedans, ben…’ ‘Question : Et là à l'époque, ils voulaient vraiment…’ ‘Ils voulaient se faire du neuf, ils voulaient se faire du neuf, quoi ! Hein ? Et là, c'est la pièce, bon c'est un peu petit. Et le mur, le mur… celui-là, ils l'ont poussé de 60 centimètres. Donc ils ont démonté un mur devant, ou carrément, ils étaient plus à ça près, à l'époque…»’ ‘(Un membre de l’ASCA.)’Certains prêtent même aux paysans une volonté délibérée de destruction plutôt qu'une simple négligence :
‘ « (…) je vais même plus loin, il y un souci de masquer, parce qu'on sait que ça a une certaine valeur morale, hein, sentimentale, et on a souci de masquer ce bâtiment et ses environnements, à telle enseigne que le cimetière, par exemple, l'église, tout ça, toute cette partie arrière, il y a deux trois à cinq mètres de terre posés dessus, c'est du remblayage pour oublier qu'il y avait une chartreuse et l'utiliser en tant que prairie, en tant que… Et surtout ne pas laisser… comment dirais-je… la possibilité de faire ressurgir ce patrimoine… »’ ‘(membre de l’ASCA)’Si l'on rattache ce discours à celui qui fait des moines les grands ancêtres civilisateurs de la contrée, le portrait fait des paysans locaux n'est pas flatteur. Ceux-ci apparaissent comme des êtres frustres, uniquement préoccupés par leur intérêt immédiat et incapables de reconnaissance.
La Savoie, vendredi 14 mai 1999.