La maison faune-flore et les néo-ruraux

Cependant, si la réserve est un sujet sensible pour les populations locales, les néo-ruraux sont quant à eux très fiers d’habiter non loin de cet espace sauvage et préservé à partir duquel, précise-t-on souvent, les chamois ont été réintroduits en Vanoise. Tous vont y faire des randonnées de temps en temps et y emmènent leurs parents et amis en visite, même s’ils habitent relativement loin et qu’il existe des montagnes plus proches. Les accompagnateurs en moyenne montagne parlent avec une certaine émotion de cet espace où ils aiment emmener leurs clients lorsqu’ils souhaitent leur faire découvrir des paysages grandioses et sauvages et leur permettre d’apercevoir des animaux sauvages. La réserve fait donc figure à leurs yeux de territoire d’exception, de lieu presque mythique dans lequel la nature se déploie dans toute sa beauté.

La première génération de néo-ruraux, dès les années 1970, s’intéresse à cet espace et se désole de l’hostilité manifestée par la population locale. Les associations qu’ils ont créées, marquées par le mouvement d’éducation à l’environnement, cherchent donc des moyens de réconcilier la population locale avec le dispositif. On retrouve notamment la trace de cet intérêt dans les archives de l’association les Amis des Bauges. Dans un compte-rendu de réunion consacrée à la Réserve et daté de septembre 1981, les participants, tout en reconnaissant l’intérêt de la réserve qui préserve dans un site un « biotope de moyenne montagne » et qui est un élément majeur de l’ « image de marque des Bauges », constatent que « la gestion de la Réserve Nationale a opéré une coupure entre ce territoire et les habitants », coupure de nature « culturelle et sociale ». Ils évoquent la nécessité de « manifester une position baujue spécifique » qui soit celle à la fois des élus et des associations, et de « reprendre l’initiative et le contrôle des opérations ». On parle aussi lors de cette réunion de « réconciliation », et l’on propose d’ « intégrer la zone au développement local ».

Le vocabulaire employé montre bien que les habitants des Bauges ont alors l’impression que le destin de la zone échappe aux élus et habitants, et qu’elle est contrôlée uniquement par les administrations. Le territoire de la réserve fait un peu figure d’entité extérieure, non intégrée à la vie locale, et ne participant pas comme il le pourrait à son développement économique.

Aussi, dès les années 1980, l’association les Amis des Bauges monte le projet d’un musée de la faune et de la flore, à Ecole, qui serait un outil d’éducation à l’environnement et permettrait de mieux comprendre les enjeux de la réserve 215 . Les membres de l’association avaient envisagé le rachat d’une maison du village par la mairie et avaient commencé à réfléchir à la muséographie. Un dossier présentant le projet avait même été conçu, avec l’aide de stagiaires. Celui-ci n’a pas été mené à terme, sans doute par manque de financements. Aussi, lorsque l’association pour la création du Parc est créée, les Amis des Bauges lui transmettent le dossier.

La parenté entre ce projet et celui de la maison faune-flore réalisée par le Parc est évidente. Or, lorsque l’équipe du Parc mène finalement le projet à bien entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, elle ne mentionne nullement l’existence du projet antérieur des Amis des Bauges 216 . Le projet est simplement présenté comme celui d’une « maison du Parc », un concept existant dans de nombreux PNR français.

Interrogée sur ce sujet, une des responsables des Amis des Bauges m’avoua être assez amère sur la question, d’autant que selon elle, le Parc n’avait pas invité officiellement les Amis des Bauges à l’inauguration, en juin 2002. La maison faune-flore est donc un de ces projets qui cristallisent le sentiment, pour une partie des néo-ruraux, que leur travail et leurs initiatives ne sont pas pris en compte.

Notes
215.

J’ai découvert les plans du projet dans un carton d’archives des Amis des Bauges, au siège de l’association, au Châtelard.

216.

Présente moi-même au Parc entre septembre 1999 et janvier 2002, à l’époque où la maison était en chantier et où l’on préparait son ouverture, je n’ai jamais entendu mentionner par qui que ce soit l’existence du projet des Amis des Bauges. Apparemment, la plupart des chargés de mission ignoraient totalement son existence. Ma surprise fut donc totale lorsque je découvris les plans d’un musée de la faune et de la flore dans un carton d’archive de l'association.