Une maison consacrée au « patrimoine naturel »

Intéressons-nous maintenant au contenu du bâtiment finalement réalisé. Celui-ci ne comporte qu'un étage d'exposition au rez-de chaussée, le reste de la maison accueillant des bureaux de l'ONF, de l'ONCFS et de la réserve, et des appartements pour les stagiaires du Parc. L'exposition permanente est donc assez réduite puisqu'une bonne partie du rez-de-chaussée est en fait occupé par une banque d'accueil et une boutique. Elle est constituée par un ensemble de maquettes représentant le territoire du Parc et par de petits jeux ayant pour but de faire découvrir de manière ludique différentes espèces animales et végétales habitant le massif. La maison faune-flore étant une maison du Parc elle doit renvoyer au territoire de l'ensemble du massif. Aussi, dans cet espace assez réduit, il a fallu représenter non seulement la faune et la flore de la partie montagneuse du massif, mais aussi celle des périphéries accueillant des vignes ou encore le bord du lac d'Annecy. La mise en scène des différentes espèces animales et végétales se fait sous forme de petites anecdotes. On apprend à distinguer un sapin d'un épicéa, pourquoi les limaces sont de couleurs sombres ou encore pourquoi certains papillons ne peuvent voler qu'au soleil. Le discours est assez peu approfondi et ne comporte pas réellement de fil directeur.

Le tout est complété par un film d'une demi-heure. Celui-ci nous propose une « balade en zig-zag » dans le massif accompagnée par un naturaliste-randonneur. Le film nous montre des plans longs accompagnés de musique sur des paysages, sur des animaux et des plantes. Le naturaliste nous invite à la contemplation de la nature qui, dit-il, est partout, dans le moindre brin d'herbe, et qu'il faut savoir découvrir. Il affirme aussi que l'homme est derrière tous les paysages, et cite les agriculteurs et les bûcherons qui entretiennent la forêt. Lorsqu'en arrivant sur le plateau, il évoque les Baujus, ceux-ci apparaissent à l'écran sous la forme successivement d'un vieux monsieur en béret en train de faire son jardin et d'un agriculteur assez âgé à bord d'un tracteur d'un modèle particulièrement ancien.

Le jardin de la maison accueille des expositions temporaires, sur des thèmes comme les abeilles, ou les chamois, cette fois davantage approfondis. L'exposition sur les chamois aborde la question des rapports entre l'administration de la réserve et les chasseurs par l'intermédiaire du calcul du nombre d'individus de chaque sexe à abattre lors des plans de chasse.

Cependant, si l'on excepte cette exposition temporaire, plus dynamique, l'exposition permanente et le film ont manifestement pour but de projeter le visiteur dans une autre dimension, celle de la nature. Ce faisant, ils ont tendance à véhiculer l'image d'un massif hors du temps, avec ses paysages, ses espèces animales et végétales présentes depuis des temps immémoriaux qu'il faut savoir apprécier et protéger.

La maison faune-flore survole donc de très loin les conflits du temps présent autour des conceptions de la nature ou de la reconnaissance des acteurs locaux. Elle renvoie à un temps long et quelque peu mythique : la population des Bauges d'aujourd'hui ne ressemble aps beaucoup aux deux vieux messieurs qui apparaissent dans le film. Le ton extrêmement paisible du discours de l'exposition, qui se veut tourné vers des valeurs éternelles contraste étrangement avec le caractère passionnel des débats qui ont entouré et entourent encore la question de la réserve et plus généralement du rapport à la nature

Au travers des mouvements d’humeur de supposés « râleurs » vis-à-vis de la maison faune-flore et plus généralement de la gestion de la nature s’expriment donc des conceptions différentes du territoire et la manière dont il doit être géré. Les populations paysannes s’inquiètent de voir la nature gagner du terrain au détriment des activités économiques et agricoles, et craignent que le territoire de leurs communes ne soit transformé en terrain de jeu pour citadins en mal de nature au détriment des aspirations des habitants. Elles ont aussi l’impression que leur histoire et leur travail ne sont pas suffisamment reconnus.

Quant aux populations néo-rurales, tout en s'intéressant à la nature, elles sont préoccupées par des problèmes liés à la vie locale, tels que les incompréhensions qui peuvent exister entre populations de cultures différentes, et s'efforcent de les résoudre. Aussi, si elles sont à l'origine de l'idée du musée, celui-ci avait d'abord pour but dans leur esprit de réconcilier les populations des Bauges autour d'un patrimoine commun. Mais en reprenant l'idée de maison faune-flore qui était celle des Amis des Bauges, le Parc a légèrement modifié le projet. Le contenu du dispositif n'a pas d'abord pour but de permettre aux habitants de dialoguer au sujet de la réserve. La nature y est présentée comme une réalité immuable offerte aux visiteurs, ce qui ne permet pas vraiment aux Baujus de « reprendre l'initiative et le contrôle des opérations ». Conflits et résistances sont oubliés, passés sous silence.

Aujourd’hui, les tensions semblent cependant s’apaiser. Tout un programme de conférences et de randonnées est mis en place chaque été autour de la maison faune-flore, et des intervenants différents se succèdent - gardes forestiers, érudits locaux, accompagnateurs en moyenne montagne... Ces manifestations remportent un certain succès, et les différents groupes se réapproprient ainsi la maison. Par ailleurs, lorsque la famille d'agriculteurs ayant accepté de tenter l'expérience a investi pour la première fois l’alpage de l’Armène, durant l’été 2003, les jeunes de la famille, plus proches des valeurs écologistes, étaient manifestement très heureux de monter en alpage dans ce territoire d’exception qu’était pour eux la réserve. Les chamois furent longuement observés à la jumelle. La réserve deviendrait-elle finalement un élément de ralliement des populations ?

Il n'en demeure pas moins qu'un hiatus demeure entre d'une part le discours célébrant la faune et la flore présent au sein de la maison et d'autre part les nombreuses controverses que suscite encore aujourd'hui la question des rapports au vivant sur le territoire. En mettant l'accent sur le thème de la nature, le discours tenu ici par le Parc semble vouloir se situer au-delà des conflits, dans un ailleurs où règne une forme d'harmonie.