Entre deux territoires...

Ces ambiguïtés sont à l’origine d’un jeu permanent pour le Parc consistant à profiter de la forte identification du centre pour l’étendre à tout le massif, et par conséquent à naviguer entre les deux territoires. Il s’agit de trouver un compromis entre l’affirmation de la nécessaire égalité de traitement de l’ensemble de son territoire par le Parc et la mise en avant de ce centre qui constitue, pour ainsi dire, son fond de commerce.

Le problème se pose à chaque fois qu’il faut choisir un lieu pour un événement symbolique. Prenons un exemple : la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie décide d’organiser en 2004 son colloque annuel dans les Bauges, en partenariat avec le Parc. Les interventions doivent donc porter sur l’ensemble du massif, et le titre est choisi en conséquence : « Entre lacs et Isère, le massif des Bauges : Histoire et Patrimoine ». Les responsables de la société, aidés par le Parc, recherchent donc un lieu où il soit possible d’organiser des conférences, mais aussi d’accueillir et d’héberger pour un week-end une bonne centaine de personnes. L’entreprise est loin d’être aisée. La première proposition est celle de la commune d’Aillon-le-Jeune, qui possède un centre de vacances suffisamment grand doté d'une salle adéquate. Mais cette commune, qui fait partie du canton du Châtelard, est de surcroît la commune du président-fondateur du Parc, et bénéficie de la station. L’hypothèse est donc écartée par les responsables de la société savante :

‘ « On va encore dire que c’est toujours pour les mêmes. »’

Dès lors, comme il n’existe pas d’autre centre offrant les qualités requises au cœur du massif, on recherche à la périphérie. Mais l'un des co-présidents de la SSHA écarte d’emblée certaines communes

‘ « On ne peut pas non plus le faire à Saint-Jorioz, ou à Saint-Pierre-d’Albigny [communes respectivement situées au bord du lac d’Annecy et en Combe de Savoie] parce que là, nos adhérents diraient « mais c’est plus les Bauges » ». ’

Finalement, au prix d’une importante complexification de la question de l’accueil des participants et de leur logement, l’événement aura lieu à Lescheraines, au « cœur du massif ».

De même, lorsque les « journées des Parcs » qui réunissent les salariés de l’ensemble des PNR de France ont été organisées par le PNRMB en octobre 2003 à Sévrier, commune adhérente située au bord du lac d’Annecy, on a pu entendre de nombreuses voix d’habitants, d’élus ou de membre des administrations s’élever pour déplorer l’absence d’une structure adaptée au cœur du massif pour accueillir les centaines de personnes présentes. Sévrier, commune périurbaine de la banlieue annecienne, ne correspondait manifestement pas à l’image que l’on souhaitait donner des Bauges. Toutes les zones du Parc n’ont donc pas la même force symbolique.

L’ambiguïté est aussi présente du côté du monde politique du canton, dont les représentants jouent fréquemment eux aussi sur les deux tableaux. Beaucoup d’élus du canton du Châtelard sont aussi engagés dans le Parc, participant au bureau et occupant parfois des fonction de vice-présidence (maire de Jarsy, maire de la Motte, maire du Châtelard). Mais le cas le plus représentatif de ces allées et venues entre les deux échelles est sans aucun doute celui du président du Parc depuis sa création.

Pour bien situer ce dernier, il nous faut évoquer le monde politique bauju, actuellement en cours de transformation. Comme je l'ai déjà mentionné, traditionnellement, les élus faisaient partie de familles locales qui occupaient ce type de responsabilités depuis des générations. A Aillon-le-Jeune, deux grandes familles, les Boyer et les Tardy se succédaient à la mairie depuis des générations. En 1965, après la démission d'un Boyer, un Tardy gagne les élections sur la promesse de créer la station de ski. Il accomplira au total 6 mandats restera maire jusqu'en 1989.

Lorsqu'à la suite du départ de ce dernier, l'actuel président du Parc est élu à la mairie en 1989, il l’est à partir d’une double légitimité. D’une part, Il est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, et représente à ce titre une nouvelle génération d’élus, dotés de compétences « modernes ». En effet, la population d'Aillon était alors de plus en plus préoccupée par la gestion de la station de ski, devenue relativement compliquée avec la création au début des années 1980 du stade de neige de Margériaz. Le nouveau maire a donc convaincu ses électeurs qu'il possédait la carrure nécessaire pour gérer au mieux les intérêts de la commune. Il est en effet, par ses études et son engagement militant, intégré au microcosme politique régional, et proche d’élus d’envergure nationale, comme Michel Barnier et Hervé Gaymard.

Mais notre élu est aussi membre d’une ancienne famille des Bauges, une famille qui a exercé autrefois des responsabilités politiques à Lescheraines. Il est lié à Aillon par sa famille maternelle, et possède de nombreux biens immobiliers dans la commune. Il bénéficie donc aussi, pour une part, de la légitimité traditionnelle, qui lui permet de signifier aux Baujus d’origine « Je suis des vôtres », ce qui demeure encore dans nombre de communes, la condition sine qua non pour être élu. Il s’est aussi investi pendant plusieurs années dans les associations du canton, en particulier dans les clubs de sport locaux et au sein du journal l’Ami des Bauges.

Le président du Parc se situe donc au croisement des deux légitimités, une légitimité que l’on peut qualifier de traditionnelle, et une légitimité nouvelle acquise par les diplômes et un placement politique à un niveau plus large que le niveau local. Cette double inscription correspond en partie à l’implication de l’élu dans les deux territoires : en tant que conseiller général du canton, il se présente davantage comme un enfant du pays, ce qui est rassurant vis-à-vis des populations d’origine, inquiètes pour leur avenir, tandis qu’en tant que président du Parc, il joue davantage la carte de l’élu d’envergure prêt à aller de l’avant, et n’hésite pas à faire jouer ses amitiés politiques au niveau national. Ceci dit, les deux légitimités ne correspondent pas exactement aux deux territoires : le maire d'Aillon a aussi été élu conseiller général du canton du Châtelard pour sa capacité à se mouvoir dans les maquis administratifs et à gérer des dossiers que les élus traditionnels jugeaient trop compliqués.