Une mise en avant mal vécue par les habitants

Comment les habitants du canton du Châtelard perçoivent-ils l'utilisation qui est faite de l'image de leur territoire dans la communication du Parc ?

Le sujet fait l'objet de controverses. J’ai déjà souligné à quel point il était fréquent d’entendre des habitants du cœur des Bauges exprimer, si ce n’est un rejet du territoire du Parc, du moins une mise à distance de ce dernier. Si l’on creuse un peu les discours, on se rend compte que, toutes catégories de population confondues, nombre d’entre eux semblent ne pas se reconnaître dans l’image qui est véhiculée par les différents dépliants et slogans publicitaires présentant le territoire du Parc.

Ce sont d’ailleurs ces tracts et documents en papier de toutes sortes qui sont l’élément le plus souvent cité lorsque j’aborde avec mes interlocuteurs la question du Parc. Disponibles dans les mairies, les offices du tourisme, les fruitières, ils sont pour la plupart des gens l’élément tangible le plus visible montrant qu’un Parc est à l’œuvre dans leur environnement quotidien.

Ces éléments publicitaires sont généralement évoqués avec une certaine ironie : « Ils font de belles plaquettes » ai-je ainsi souvent entendu. De même, nombre de mes interlocuteurs mentionnent spontanément l’Echo, le journal du Parc, distribué dans toutes les boîtes aux lettres. Les critiques sont en général sévères, au point que je n’ai jamais entendu une appréciation positive concernant ce périodique.

‘ « On ne savait rien avant qu’ils sortent leur journal. Et même maintenant. C’est creux, ce journal, on n’y apprend rien. » ’ ‘ « Ils ont bien fait un petit journal pour dire ce qu’ils font, l’Echo, mais c’est le genre de truc que j’ai pas gardé. C’est de grands écrits qui ne veulent pas dire grand chose. J’ai essayé de le lire, de la première à la dernière ligne, j’ai pas vu les réalisations. » ’ ‘ « L’ Echo des Bauges est trop froid, on sent que c’est fabriqué par une équipe. Soit on fait un journal ouvert, où il y a une liberté d’expression, où les choses sont pas formalisées, formatées... Dans l’Echo, y’a pas une phrase de travers… On parle que de M. Untel qui est président de truc, du chose, du machin. »

Les critiques recueillies insistent, on le voit, sur le vide supposé de la publication, ou, et cela revient au même, sur sa langue de bois : « c’est creux », « On n’y apprend rien », « j’ai pas vu les réalisations ». Un responsable associatif est même allé jusqu'à qualifier le langage employé d'ésotérique lors d'une commission du Parc. De toute évidence, ce périodique n’a pas trouvé son public. Entendons nous bien : il ne s’agit pas de porter ici un jugement sur le contenu de ce journal, et encore moins sur les réalisations du Parc qui y sont commentées, mais de faire le constat de son échec manifeste à combler les attentes de ses lecteurs, et d’essayer de comprendre où se situe le hiatus.

Il me semble qu’il existe tout simplement un décalage entre ce qui y est relaté, et ce que la plupart des habitants attendent du PNR et du monde politique. En fait, nombre de Baujus ne se sentent tout simplement pas concernés par ce qui est évoqué dans l’Echo. Cela leur semble bien loin de leurs préoccupations, de ce qu’ils vivent au quotidien. D’où cette insistance sur l’absence de ce qu’ils appellent « le concret » ou « les réalisations ».

‘ « Le Parc, franchement, je ne vois pas ce qu’il y a de concret. D’ailleurs, eux-mêmes ne sont pas foutus de le dire. » ’

Quels sont donc les sujets dont ces personnes aimeraient entendre parler ? Qu’est-ce qui les préoccupe au quotidien ? Si je me fonde sur le corpus des entretiens que j’ai menés, je peux facilement dégager des thèmes récurrents. Ce sont sans doute des problèmes communs à l’ensemble du monde rural. Des problèmes essentiellement liés au sous-équipement concernant les gardes d’enfants, les transports en commun, les services publics, l’emploi, et qui mobilisent souvent les habitants au jour le jour. Il faut ainsi trouver un moyen d’emmener les enfants à leurs activités extra-scolaires qui se déroulent parfois hors du massif, faire garder ceux qui sont en bas-âge pendant que l’on travaille, mener ses recherches d’emploi lorsqu’on ne dispose pas de véhicule ou d’argent pour payer le carburant. Pour de nombreux jeunes en situation précaire, le problème se pose fréquemment. Souvent peu ou pas diplômés, nombre d’entre eux vivent dans une certaine précarité, travaillant l’hiver dans les stations, et l’été comme ouvriers dans les usines des alentours. Ils sont régulièrement soumis à l’angoisse de ne pas trouver d’emploi, et regrettent souvent de devoir faire de longs trajets pour se rendre dans les usines de Chambéry ou de la banlieue annecienne. Des récriminations quant au manque supposé d’attention de la part des élus pour ce type de problème apparaissent fréquemment dans les entretiens.

‘ « C’est comme l’histoire de la halte-garderie. On a eu un mal fou à faire comprendre qu’il fallait qu’elle puisse accueillir plus de 12 enfants à la fois, alors qu’il y en avait 40 d’inscrits ! Mais bon, les élus, enfin les conservateurs voulaient pas. Évidemment, y’a aucun intérêt économique. Par contre, construire un nouveau télésiège à Margériaz, c’est plus important pour eux. Le social, on s’en fout. »’

A ces soucis qui touchent des besoins élémentaires (travailler, se déplacer), s’ajoutent d’autres préoccupations davantage liées à la vie sociale. Comme je l’ai déjà souligné, des populations d’origine et de culture différentes cohabitent en Bauges, Baujus de souche, néo-ruraux, agriculteurs, personnes travaillant dans les villes, travailleurs indépendants, ouvriers. La communication est parfois difficile entre ces différentes catégories de personnes. Les néo-ruraux se sentent parfois mal accueillis. Nous avons vu qu'ils évoquent une forme de mise à distance de la part des habitants, et racontent à quel point il leur a été difficile de briser la glace. Les Baujus d'origine, de leur côté, se sentent débordés par l’afflux de populations nouvelles, eux qui, il y a encore une vingtaine d’année, ne rencontraient dans les foires et les fêtes que des visages familiers. Et même s’ils ne connaissaient pas personnellement chaque individu présent, ils pouvaient toujours le resituer au sein de sa famille, de son village. Désormais, le monde dans lequel ils vivent leur paraît bien plus hasardeux. Ils accusent aussi parfois les néo-ruraux de ne rien faire pour s'adapter aux règles du jeu traditionnelles de la vie au village.

Ces difficultés apparaissent de façon plus ou moins explicite dans pratiquement tous les entretiens que j’ai menés. Et tous sont demandeurs d’espaces de paroles, de lieux d’expression et de rencontre qui pourraient permettre une médiation. Tous réclament une politique de soutien aux associations, notamment culturelles et sportives, qu’ils considèrent comme les lieux où cette rencontre est susceptible de se produire. Beaucoup d’entre eux déclarent aussi essayer de créer ce lien et ne pas se sentir soutenus par les élus et les institutions.

‘ « Au Parc, ils devraient avoir des budgets pour que les associations vivent. Il faut pas penser qu’à refaire des belles routes ou des belles fruitières. Le massif il vit parce que la population vit. » 

Pour beaucoup d’habitants, le sentiment global qui transparaît est donc une forme de délaissement, d’abandon, une impression que ces soucis ne sont pas sérieusement pris en compte par les élus et les institutions :

Pour revenir à l’exemple du journal du Parc, nous pouvons constater que l’Echo, qui évoque souvent des thèmes généraux comme les rapports ville-campagne, l’éducation à l’environnement, ne leur apporte pas vraiment de réponse sur ces questions. Allons plus loin, ces problèmes et interrogations n’y sont jamais évoqués frontalement.

On peut dégager deux raisons à cela. Tout d’abord, les salariés du Parc ne se sentent effectivement pas concernés au premier chef par ces problèmes. Leur rôle est de permettre le développement du territoire par la préservation et la valorisation de son patrimoine, il n'est pas de créer du lien social. Ensuite, même si certaines de ces préoccupations sont évoquées au sein des commissions qui réfléchissent aux futures orientations du Parc, la ligne éditoriale choisie dans l'Echo, outil d'information « grand public » ne permet pas de les faire apparaître. En effet, ce document n’a pas seulement un rôle d’information, il est aussi un outil de communication, de marketing au caractère plus ou moins publicitaire et doit présenter à ses lecteurs les principales réalisations du Parc sous un jour avantageux. D’où une tendance naturelle à évoquer les dossiers qui avancent plutôt que ceux qui stagnent, et à passer rapidement sur tout ce qui pourrait ressembler à une difficulté.

Mais du coup, les habitants peuvent avoir l'impression que l’on donne d’eux une image trop lisse, trop léchée, en présentant le territoire comme le lieu d'une vie sociale sans accrocs, sans débat d’idées, et que le Parc n’a finalement pour rôle que de « redonner un coup de peinture à la façade », de faire en sorte que leur pays « présente bien ».