5. Derrière la contestation, des projets divergents ?

J'ai donc tenté, au travers de l’ethnographie de quatre opérations de patrimonialisation touchant des objets aussi divers que la chartreuse d’Aillon, la tome des Bauges, la réserve et le territoire des Bauges-centre, de comprendre ce qui suscitait des tensions voire des conflits ouverts autour de projets pourtant présentés comme consensuels puisque censés s’appuyer sur des éléments fédérateurs pour la population, des « biens communs » capables de représenter le territoire vis-à-vis de l'extérieur.

Mais le récit qui est fait par le discours patrimonial est nécessairement partiel. Toute patrimonialisation a son revers : elle occulte forcément certains aspects du passé et exclut par conséquent l'action de groupes sociaux. C'est pourquoi l'étude des débats qui entoure les projets patrimoniaux est porteuse de sens. Nous pouvons d'ores et déjà apporter des éléments de réponse à certaines questions, telles que : Quels sont aujourd'hui les groupes en position de force, ou ceux qui voient au contraire leur influence décliner ? Quels sont les enjeux qui les opposent ou les réunissent ?

Nous pouvons tout d’abord proposer une analyse transversale de ces opérations comme révélatrices de la fin d’un processus de transformation du monde rural, qui cesse d’être un espace à vocation exclusivement agricole pour se trouver investi d’autres rôles par les populations qui l'habitent ou ne l'habitent pas. Cette mutation est loin de s’opérer sans souffrance de la part des agriculteurs et de leurs proches, qui se voient peu à peu dessaisies de la maîtrise du territoire, tant dans son aspect matériel que dans son aspect symbolique.

D’autre part, les limites rencontrées par les projets patrimoniaux nous amènent à réfléchir à la capacité du patrimoine à fédérer les différents groupes présents sur un territoire. Les éléments patrimonialisés ne présentent qu'une vision partielle, et par conséquent partiale de la réalité. La patrimonialisation, aux mérites démocratiques tant vantés, se révèle être dans bien des cas un instrument de pouvoir qui permet d'imposer des choix pour le territoire. Et au-delà des aspects particuliers liés à tel ou tel projet, la question qui se pose est bien celle de la pertinence du mode de développement vers lequel la mise en représentation oriente le territoire.

De toute évidence, le Parc, qui devait être un lieu de concertation apparaît aux yeux de ses habitants comme un nouveau pouvoir qui tente d'imposer une certaine vision du territoire. Cela nous amène à nous interroger sur la façon dont les salariés de cette institution se positionnent sur le territoire. Nous pouvons aussi nous demander dans quelle mesure les projets patrimoniaux demeurent malgré tout des lieux de négociation.