Le Parc : du lieu de concertation à l'antagonisme

Comment se fait-il que le Parc, qui affichait, nous l'avons vu, dans sa charte sa volonté d'être un lieu de concertation, qui permette la participation des « forces vives », apparaisse aux yeux des habitants non plus dans une position de conciliateur, mais bien plutôt dans celle d'une administration qui impose des choix qui ne sont pas toujours les bienvenus sur le terrain ?

On peut en effet s'étonner de l'ignorance que semblent manifester les représentants cette institution à propos de l'état d'esprit d'une bonne partie des acteurs en présence. Ignorance qui peut les amener à penser très sincèrement que « loin du bruit, près de la vie » est un slogan tout à fait adapté au massif.

Cela nous conduit à faire un petit détour pour essayer de comprendre ce qui se passe au sein du Parc. Qui sont, pour commencer, les salariés membres de l' « équipe technique » ? Cette dénomination, qu'ils utilisent eux-mêmes fréquemment et que l'on retrouve dans le divers documents du Parc, est révélatrice du rôle qui leur est assigné. Ils sont présentés comme des techniciens très compétents dans leur domaine - compétence qui leur est d'ailleurs, à quelques exceptions près, reconnue sur le territoire – et chargés d'accomplir les missions qui leur seront confiées par les organes de décision du Parc. Notons qu'une « équipe technique », comme son nom l'indique, n'est pas chargée de réfléchir aux orientations politiques, mais de les appliquer. C'est d'ailleurs bien ce qui est stipulé dans la charte, dans laquelle il est écrit que les salariés ont pour fonction « la mise en oeuvre technique des actions du Parc et de celles dont il sera chargé par les Collectivités adhérant au syndicat mixte » 224 .

Les membres de l'équipe du Parc sont fortement diplômés et tous les chargés de mission ont au moins un bac +5 dans leur domaine : biologie-écologie, architecture, agronomie, commerce, animation culturelle, etc. Ils ont été recrutés au sein d'une sévère concurrence. Ils viennent de toute la France et, bien que la moyenne d'âge soit assez jeune, un certain nombre ont déjà des expériences sur d'autres territoires (Parcs, mais aussi d'autres intercommunalités). L'écrasante majorité, lorsque j'ai effectué mon stage au Parc en 1999-2000, n'habitaient pas le massif, mais les villes environnantes, et « montaient » chaque jour, travailler en Bauges. Certains d'entre eux expliquaient vouloir opérer ainsi une séparation entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Aucun n'était originaire du massif (je veux dire par là qu'aucun n'y habitait avant d'être recruté), à l'exception notable des secrétaires.

Cela explique en partie leur difficulté à « sentir » le terrain. Mais celle-ci doit sans doute aussi au style imprimé par le directeur de l'époque, présent depuis la création du Parc. Celui-ci était issu de l'Ecole Nationale du Génie Rural des Eaux et Forêts (ENGREF), école d'application de l'Ecole Polytechnique et de l'Institut National d'Agronomie lors de son passage. Il imprimait au Parc un style sans doute typique de sa formation dans une école chargée de donner à l'Etat ses hauts fonctionnaires. Très habile dans l'art du montage de dossier et dans la défense des intérêts du Parc auprès des politiques et des administrations chargées du financement, il n'était pas vraiment un homme de terrain, et il affichait parfois son incompréhension voire son exaspération vis-à-vis des réactions d'une partie de la population qu'il semblait considérer comme assez peu rationnelles. Il avait d'ailleurs dans les Bauges une très forte réputation de « technocrate ». Travailleur acharné, il exigeait beaucoup de ses collaborateurs dont il attendait une grande efficacité, mais ne semblait pas considérer comme important le fait de leur permettre de passer du temps sur le territoire, à rencontrer les « forces vives » du massif. Les chargés de mission avaient donc peu de temps pour se rendre sur le terrain et ce comme ce n'était pas vraiment ce qui leur était demandé, ceux qui le faisaient devaient ensuite rattraper le « temps perdu ».

En même temps, la stature du directeur lui donnait une légitimité qui lui permettait de défendre efficacement certains choix faits par l'équipe face au pouvoir politique. Il n'hésitait pas pour cela à mettre en avant les compétences scientifiques des salariés.

Après son départ en 2001, il est remplacé par celui qui avait été recruté un an plus tôt comme directeur adjoint. Ce dernier, moins diplômé, doit en grande partie son poste au soutien du président du Parc, qui a appuyé sa candidature. Il est n'est donc pas vraiment, à la différence de son prédécesseur, en position de tenir tête aux élus, et d'imposer éventuellement les vues de l'équipe technique. Dans le même temps, la droite remporte les élections municipales de 2001, et cela se ressent notamment dans la périphérie du massif. Le bureau du Parc bascule donc plus fortement dans le sens du président, lui aussi de droite. L'équipe technique se retrouve donc dans une position dans laquelle elle est davantage soumise aux exigences du pouvoir politique.

Des tensions se manifestent à cette époque au sein de l'équipe. D'autant que les salariés sont pour la plupart recrutés avec des contrats à durée déterminée de trois ans. Aussi, beaucoup d'entre eux craignent que le contrat ne soit pas renouvelé et expriment un stress important au moment du renouvellement, stress qui n'est pas totalement injustifié, comme nous avons pu le voir avec le départ de la chargée de mission agriculture. Leur statut précaire ne leur permet donc pas de contester frontalement les orientations qui leur sont dictées par le tandem présidence-direction.

C'est aussi à cette période que se manifeste un fort turn-over au niveau de certaines missions. Si le pôle « sciences naturelles » semble épargné, deux domaines en particulier sont soumis à une certaine instabilité : le patrimoine culturel et l'agriculture. Après le départ, en 1999 et en 2002, des deux jeunes femmes qui étaient présentes depuis l'association pour la création du Parc, trois personnes différentes se sont succédées dans chacun de ces postes, laissant entrevoir un certain malaise.

Il faut cependant mentionner que dans le même temps, l'équipe technique s'est rapprochée des habitants du territoire avec l'arrivée de nouveaux chargés de mission, plus jeunes, qui ont majoritairement choisi de s'installer dans le massif, suivant en cela l'exemple du nouveau directeur. Désormais, la moitié de l'équipe habite les Bauges. Petit à petit, des liens se créent avec la population locale, et le regard des salariés du Parc évolue vers une plus grande compréhension de la situation locale.

Notes
224.

Charte constitutive du PNR du Massif des Bauges, charte d'objectifs, p 82.