1. Quel passé pour les habitants des Bauges ?

Au cours de la période durant laquelle j'ai habité les Bauges, je me suis peu à peu rendue compte qu'à côté des projets patrimoniaux, d'autres façons de dire l'histoire étaient présentes sur ce territoire. Ce deuxième groupe de récits, plus discret a priori que le patrimoine qui par nature s'affiche, ne m'était pas apparu de prime abord.

En découvrant la région, j'ai commencé par lire les différentes productions écrites existantes, comme peuvent le faire les visiteurs de passage et les personnes intéressées par les Bauges. Brochures et livrets souvent édités par le Parc mettent en avant les éléments valorisés comme patrimoine : l'histoire monastique du massif, la métallurgie, l'argenterie des Bauges, la tome, l'architecture et les savoir-faire agricoles d'autrefois. Il s'agit donc d'un passé souvent lointain et qui fait appel avant tout aux éléments qui peuvent être perçus comme les plus « traditionnels » du massif : activités anciennes, typiquement rurales..., bien souvent en rupture avec le quotidien des habitants (à l'exception bien sûr de la tome pour les agriculteurs).

Puis, au fur et à mesure que j'apprenais à connaître les habitants du canton du Châtelard, que j'avais avec eux de longues discussions, une autre vision de l'histoire du territoire m'est apparue. Celle-ci, essentiellement véhiculée par un discours oral souvent chaleureux et passionné, se réfère à un passé plus récent que celui mis en valeur par les différents médias. Les récits portent cette fois sur l'histoire contemporaine du massif, celle qui précède immédiatement la période actuelle et à laquelle les habitants ont assisté voire participé. Les épisodes emblématiques de cette mémoire sont fréquemment évoqués lors des débats et discussions qui peuvent avoir lieu dans les Bauges au sujet de l'aménagement du territoire.

Après avoir montré de quelle façon cette histoire est ignorée, voire niée par certains acteurs politiques et institutionnels du territoire, je tenterai d'en dégager les traits principaux, avant d'analyser en quoi elle est porteuse d'une conception du passé différente de celle véhiculée par le patrimoine.