Prise de risque et échecs

Les solutions à la crise vécue par les Bauges ne se sont pas « tout naturellement imposées ».

Les acteurs des différents récits ont souvent dû prendre des risques et assumer des décisions difficiles.

Ainsi, à Aillon, les élus doivent engager des emprunts très importants pour une petite commune n'ayant pas au départ de réelle source de revenus. Ils doivent parier sur la réussite de la station pour espérer pouvoir rembourser un jour les créanciers. Il faut donc faire des choix sans certitudes quand à l'avenir, ce qui nécessite, si l'on en croit mes interlocuteurs, de l'audace et de la force de conviction. Car il faut aussi surmonter les oppositions inévitables que le projet suscite :

‘« Mme : Il y avait bien une personne qui disait « Ah, vous allez vous ruiner, puis ruiner la commune, etc., parce que c’étaient pas des particuliers qui pouvaient faire quelque-chose. ’ ‘M. : Budget de la commune, je vous dis, 42000 francs. La deuxième année ou la troisième année, quand on a fait le téléski de la Combe-aux-Biches, qui existe toujours, hein, qui a un kilomètre de long. C’était déjà important. Ça représentait 5 fois le budget de la commune. ’ ‘Mme. : Alors si vous voulez, il y a eu une expérience qui a été faite cet hiver 64-65, et les élections ont eu lieu au mois de mars 65. Et le thème c’était pour ou contre la station. Alors ceux qui étaient pour ben ça a eu une grosse majorité.’ ‘M. : Alors l’ancien maire, ben il habitait la chartreuse, c’était un Boyer. Et lui, il avait déjà arrêté, il disait moi, « je m’engage pas dans un trucs comme ça ». Lui il avait un peu eu peur…’ ‘Mme. : Il avait démissionné au mois de février.’ ‘M. : Ah oui, oui. Quand il a vu… Parce qu’on avait déjà tourné un hiver, pratiquement, quand il… Alors les cars qui arrivaient on savait pas où les mettre, y’avait pas de parking, y’avait rien, rien »’

Les récits de ces années n'omettent pas les échecs et les tâtonnements, ni l'opposition qui a pu exister et le fait que les porteurs de projets étaient parfois très isolés. Avant de construire la station dans le Combe de Lourdens, les Aillonnais ont essayé de faire fonctionner un téléski au village d'Aillon et les habitants des Bauges-devant ont tenté d'en élever un sous le col du Frêne. Faute de neige, ces expériences ont dû être arrêtées. La construction de la station n'a pas toujours été mûrement réfléchie, et certains immeubles, reconnaissent mes interlocuteurs, sont assez laids :

‘ « Vous savez, ils ont des toits très très vilains, là, qui sont un peu plats. Ben oui, alors maintenant, ça se ferait plus, mais à l’époque, on n’était pas encore sensibilisés là-dessus, quoi. Alors ils la construisaient, et ça s’est vendu comme des petits pains, les appartements. Alors après on a construit avec le style davantage bauju, parce qu’on s’était dit : « il faut pas laisser faire ce qu’on avait laissé faire ». ’

Les Amis des Bauges ont connu de leur côté de nombreux échecs, au point que leurs récits ressemblent parfois à une litanie de tentatives avortées. Le projet « Grandes Bauges » a été particulièrement mal reçu :

‘ « On s’est fait massacrer. On s’est fait massacrer. « Sans intérêt » (rires) « On a toujours travaillé en canton, en villages, je vois pas ce qu’on va aller foutre avec les gens de Saint-Jorioz, de Saint-Pierre-d’Albigny », bref, et puis ceux de Saint-Pierre-d’Abigny : « Mais qu’est-ce qu’on va aller foutre avec des Baujus qui sont des… » Ça s’est pas dit, mais ça s’est ressenti, quoi. Il y avait de la méfiance, et puis personne d’entre nous n’étais un orateur, personne n’a réussi à convaincre parce qu’on ne savait pas nous-mêmes, tu comprends ? On ne savait pas si le fait de travailler nous-mêmes tous ensemble, c’était sur le plan économique, c’était sur le plan touristique, c’était sur le plan… On savait pas exactement. C’était une idée comme ça. »’ ‘ (Paul)’

Pourtant, ces revers n'ont pas découragé les acteurs de ces récits. Les erreurs, servent de leçons pour l'avenir, et bien souvent leur permettent finalement de rebondir.

Mais il est important de constater que dans ces récits, les avancées obtenues ne l'ont pas été à l'issue d'une marche triomphale et ininterrompue, mais bien plutôt d'un combat obstiné durant lequel sont apparus tour à tour succès et déboires. Tout a été acquis de haute lutte grâce à la persévérance d'individus qui, malgré le manque de moyens, se sont battus contre l'adversité.