Ces acteurs locaux qui ont fait les Bauges

Enfin, mes interlocuteurs insistent sur le fait que si les Bauges sont aujourd'hui celles que l'on connaît, c'est grâce aux initiatives des habitants. Ce sont eux qui ont dessiné le visage du territoire actuel. Lorsque Denis, après le discours du président du Parc, commente dans le car les paysages parcourus, il présente ceux-ci comme ayant été modelés par les décisions des acteurs locaux :

‘ « Nous quittons le plan d'eau de Lescheraines, réalisé sous la municipalité d'Alexandre Dusserre », « A notre droite, le stade de neige de Margériaz, construit dans les années 1980 avec le soutien de l'ensemble des communes du canton... »’

D'après ce discours, les réussites actuelles (station, fruitière, plan d'eau et même AOC tome des Bauges) sont dues aux initiatives de l'époque. En commentant la prospérité qu'amènent aujourd'hui ces réalisations, mes interlocuteurs posent implicitement la question de ce que seraient les Bauges celles-ci n'existaient pas :

‘ « Le plan d'eau de Lescheraines, l'été, c'est quand même quelque-chose de bien. Il y a des fois 1000 personnes là-bas, qui sont au camping. »’ ‘ (Lucienne)’ ‘ « Alors voyez maintenant, c'est quand même bien, c'est une belle fromagerie. Et ils arrivent à rentabiliser leurs fromages mieux que partout en Bauges. »’ ‘ (Marcel)

Mais surtout, ils tiennent à replacer la dynamique territoriale actuelle dans la continuité de l'impulsion qu'ils lui ont donné. Alors que la charte du Parc situe la naissance du projet en 1990, année du voyage des élus du district dans le Vercors 227 , l'ancien maire d'Aillon-le-Jeune, dernier survivant du trio que l'on cite comme étant à l'origine de l'intercommunalité, explique clairement ce que cette institution, selon lui, doit aux élus des années 1960-70 dont il faisait partie, quitte à s'approprier au passage le projet « Grandes Bauges » :

‘M. : Ben nous, ça s’est créé, déjà, de mon temps. Moi de mon temps, les premiers qui ont démarré. Bon, y’ avait Laure entre autres...’ ‘Mme : C’étaient les Grandes Bauges, c’était pas le Parc…’ ‘M. : Oui, c’étaient les Grandes Bauges, mais on pensait déjà… Oui, le nom du Parc est venu après. Mais on y pensait un peu. C’était ça, quand même. Alors on avait déjà vu, voyez, je me rappelle de réunions où il y avait déjà les maires de la Haute-Savoie, du col de Leschaux, tout ça, qui étaient sur la Haute-Savoie, il y avait le maire de Saint-Jean-d’Arvey, qui venait, il y avait Saint Pierre d’Albigny, qui était déjà venu, pour voir, tout ça. C’était créé, déjà, de notre temps, tout ça. L’idée, elle est partie, déjà, à ce moment là. Bien sûr. (...) Alors par exemple, nous, on avait déjà fait ce qui est la Communauté de Communes, c’était le syndicat intercommunal à l’époque. Avec Louis Brun qui est malheureusement mort maintenant et qui a été conseiller général avant moi, et qui était maire du Châtelard, avec qui j’étais vraiment bien ami, hein ? Et bien on avait lancé le syndicat intercommunal, pour tout le… Pour les 14 communes des Bauges. Et en Savoie, je crois qu’on était les deuxièmes. Il y avait Yenne qui était partie avant nous, à une époque où l’idée était peut-être pas au regroupement des communes. »’

De même, les plus anciens des néo-ruraux veulent que l'on sache que le Parc doit son existence aux Amis des Bauges. Aucun ne manque de préciser cette origine dès que l'on évoque le sujet.

‘ « Le Parc c'est un des enfants des Amis des Bauges, même si on refuse de le reconnaître ouvertement »’ ‘ « Quand l'idée est apparue aux Amis des Bauges, parce qu'elle est quand même apparu là au départ, ils appelaient ça les Grandes Bauges. »’

Les discours des la mémoire font donc apparaître un certain nombre de thématiques qui nous renseignent sur les représentations d'elles-mêmes des populations locales. La plus importante est sans doute l'idée que ce sont les habitants eux-mêmes qui auraient initié le rebond local avec beaucoup de débrouillardise. A les en croire, si le territoire bénéficie aujourd'hui d'un certain nombre d'atouts, c'est grâce à eux. Et c'est seulement la mobilisation locale qui a permis l'arrivée d'aides extérieures, en l'occurrence le Parc.

C'est-à-dire que l'impulsion qui a déterminé le changement, l'évolution des Bauges serait partie du terrain, de l'imagination et de la capacité d'innovation des habitants. Au travers de ces récits, ceux-ci se situent donc eux-mêmes au coeur d'une dynamique qui, nous allons le voir, se perpétue aujourd'hui.

Notes
227.

Charte du PNRMB? Charte d'Objectif, 1996, p 3, voir annexe.