Réseaux et ancrages : construire du commun...

D'autre part, l'analyse de la situation baujue permet de poser la question de la territorialité et des réseaux, des formes d'ancrages et d'appartenances dans notre société contemporaine. Contrairement à ce que l'on pensait, l'ancrage dans la localité n'a pas entièrement disparu avec l'avènement de modes de transports de plus en plus performants et de moyens de communication individuels qui permettent à bien des égards de s'affranchir du lieu où l'on est physiquement présent. Aux réseaux divers et variés dans lesquels les individus se trouvent insérés, se superposent bien souvent un ou des ancrages locaux. Mais désormais, ces derniers n'ont plus le caractère totalisant qu'ils pouvaient avoir autrefois pour les individus, lorsque le groupe fondé sur le territoire contrôlait et interprétait l'ensemble des informations qui parvenaient ses membres. Chacun a aujourd'hui accès à de multiples sources d'informations qui le rendent indépendant du lieu. En outre, il ne suffit pas d'être présent physiquement quelque-part, d'y avoir sa résidence, pour être inséré dans une communauté locale, si tant est qu'il en existe une. Il faut exprimer la volonté de la voir exister et d'en faire partie en agissant en conséquence. Le territoire ne serait-il dès lors qu'un réseau relocalisé ? A ses multiples réseaux professionnels, sociaux, de loisirs, l'individu ne ferait qu'ajouter un groupe de plus, fondé sur le partage de références à un même lieu. Pourtant, nous avons pu constater que le lien fondé sur le territoire avait la spécificité de réunir des individus aux conceptions du monde parfois très différentes et qui ne s'enracinent pas de la même façon au local, ce qui tempère quelque peu cette analyse. Dans des espaces ruraux comme celui des Bauges, il semble que les uns et les autres manifestent le désir de surmonter ce qui devrait a priori les séparer par la production et le partage de lieux communs, par une solidarité fondée sur la cohabitation dans un même territoire, et par l'instauration d'espaces de parole permettant de construire l'avenir de celui-ci. De plus, à partir du moment où l'individu, en prenant la parole, accède à l'espace public local, il y expose sa personne. C'est pourquoi son engagement, à la différence de celui qui le maintient dans les réseaux, s'avère difficilement réversible. Il ne lui est pas vraiment possible de s'extraire de la vie publique locale sans rompre l'ensemble des liens qui l'attachaient au lieu, donc sans quitter celui-ci.

Le désir de territoire, c'est aussi le désir d'un endroit où il soit possible de s'exprimer en tant qu'individu au sein des espaces publics, et non au travers du filtre d'un groupe d'appartenance, quelle que soit la façon dont on peut qualifier celui-ci (familial, social, idéologique, communautaire, etc...). La proximité physique induite par le partage de la localité permet de surmonter la barrière des apparences parfois pesante ailleurs, de se parler directement. L'accès au domaine politique est beaucoup plus immédiat que dans le monde urbain, dans la mesure où la faible dimension des circonscriptions au sein desquelles sont prises les décisions (communes, et même ici Communauté de Communes comptant 4000 habitants tout au plus) y permet une circulation rapide et sans intermédiaire des informations. Les individus, en s'engageant dans des actions visant à une amélioration collective des conditions de vie, font du même coup exister une communauté politique locale. La conscience maintes fois exprimée de tout ce qui peut diviser cette dernière traduit en même temps l'attachement pour elle des différents groupes et manifeste leur désir de la voir perdurer. Nous pouvons percevoir là un regain d'intérêt pour des formes de démocratie que l'on peut qualifier de directes, et une volonté des individus d'intervenir dans toute leur singularité au sein de l'espace public local.