Enfin, cette thèse comporte aussi une interrogation sur les effets de la mondialisation. Celle-ci a souvent été perçue et décrite comme un gigantesque mouvement d'uniformisation du monde (le « village global). Selon un lieu commun bien souvent exprimé, l'ère de la communication et des réseaux aurait entraîné une inexorable invasion de l'ensemble de la planète par une culture et un mode de vie calqués sur le monde occidental. A l'intérieur de ce dernier, ce mouvement se serait traduit par l'absorption progressive des campagnes par une urbanité marquée par un type particulier de rapport à l'espace et au temps favorisant la montée de l'individu. Les espaces ruraux, tout en conservant une apparence différente de celle des villes accueilleraient désormais des formes de vie sociale et culturelle tout à fait semblables à celles qui existent dans celles-ci. A peu de choses près, habiter dans une grande métropole ou dans un canton de moyenne montagne de 4000 habitants deviendrait progressivement indifférent. Or, mon travail s'inscrit dans une série d'études anthropologiques qui montrent que les mouvements en cours, loin de conduire à l'uniformisation des modes de vie, sont aussi à l'origine de nouvelles expérimentations et créent de la diversité 271 . Ainsi, si les cultures urbaines sont bien parvenues dans les campagnes, notamment portées par les néo-ruraux, elles n'y ont pas été transposées telles quelles. En Bauges, elles sont entrées en contact avec un monde d'ores et déjà en transformation, marqué par d'importants bouleversements, au sein duquel des acteurs locaux s'employaient à renouveler la localité. La rencontre entre la dynamique issue des villes et celle qui se déployait dans les villages a conduit à la négociation de nouvelles formes de vivre ensemble au travers de conflits, de débats et de discussions.
Nos campagnes ne sont aujourd'hui plus celles d'autrefois. Nul n'y vit plus attaché à la glèbe et soumis au contrôle collectif. Mais a priori, rien n'oblige non plus ceux qui les habitent à s'engager dans la création de nouvelles formes de vie sociale fondées sur la localité. Pourtant, des façons originales de penser le temps, l'espace et le groupe s'y élaborent. La mondialisation, quelles que soient les formes sous lesquelles elle s'exprime, ne semble pas avoir découragé la croyance des acteurs locaux en leur capacité de commencer quelque chose de nouveau et d'inventer un avenir qui excède le domaine du connu. L'existence de cet imaginaire utopique est une condition sine qua non de la liberté humaine. Mais comme l'a montré Ricoeur, pour pouvoir rêver d'un ailleurs, encore faut-il déjà pouvoir se raconter, se représenter. C'est la fonction « intégratrice » ou « constituante » de l'idéologie. Aussi est-il indispensable de produire « une histoire à soi », capable de nous conférer une identité narrative.
Voir en particulier APPADURAI, A., Après le colonialisme...