1.1. De nouvelles exigences de mobilité

Au cours des dernières décennies, l’amélioration des conditions de mobilité s’est concrétisée par un accroissement significatif des vitesses des déplacements [Madre et Maffre, 1997 ; Orfeuil, 1999 ; Wiel, 1999]. La généralisation de la conduite automobile et le développement d’infrastructures efficaces ont permis de lever les barrières géographiques offrant aux automobilistes une meilleure accessibilité aux lieux [Dupuy, 1999 ].

L’ère de la mobilité facilitée s’est accompagnée de l’émergence de nouvelles « normes ». Celles-ci font échos aux impératifs de flexibilité et de réactivité imposés par les modifications du système productif. Les zones de recrutement et de prospection se sont élargies et l’installation d’un chômage de masse a rendu le marché de l’emploi plus concurrentiel [Orfeuil, 2004]. La mobilité est devenue une nécessité pour toutes les catégories d’actifs (employés, ouvriers, cadres…) et cela indépendamment de leurs capacités à s’y conformer. Les nouvelles exigences de mobilité se manifestent également à travers l’importance grandissante accordée au « choix » dans l’organisation des modes de vie contemporains. Face à l’instabilité et à la précarité des rapports au travail, chacun souhaite pouvoir sélectionner avec attention son lieu de résidence, l’établissement scolaire des enfants, les lieux de sorties… Cette dynamique du choix traverse les dimensions les plus routinières de la vie quotidienne (achats, santé, loisirs …) comme les plus occasionnelles. En matière d’occupation du temps libre, par exemple, les excursions, les départs en week-end et les vacances, si possible dans des lieux lointains et exotiques sont fortement valorisés. Dans ce contexte, l’immobilité, l’ancrage à un seul lieu, la sédentarité sont fortement dépréciés [Le Breton, 2004a].

Nécessaire au développement économique comme à l’insertion des individus, la mobilité est également synonyme de liberté et d’autonomie. Ainsi, bien que l’accroissement des déplacements, en particulier lorsqu’ils sont motorisés, apparaisse comme une source de nuisances, la mobilité demeure empreinte de valeurs positives. Cela ne signifie pas pour autant que la mobilité soit toujours recherchée ou appréciée par tous. L’expérience parfois douloureuse des ménages périurbains confrontés à de longues navettes quotidiennes illustre bien des situations de mobilité contrainte [Baudelle et al, 2004 ; Rougé, 2005]. Il reste que la mobilité s’impose comme une valeur centrale de la modernité et il paraît difficile d’inverser la tendance. Pour certains elle révèle même un nouveau mode de management qui opposerait les « réactifs », « les grands », « les mobiles » aux « rigides », « les petits », « les immobiles » [Boltanski et Chiapello, 1999, p. 168 et 179], le différentiel d’aptitude à la mobilité apparaissant alors comme un nouveau critère de hiérarchie.

Dans un contexte où toutes les alternatives modales ne se valent pas, pouvoir se déplacer sans entrave, en combinant des schémas d’activités plus ou moins complexes est aujourd’hui indispensable à l’insertion économique et sociale des personnes. Pour autant, nous ne disposons pas tous de capacités égales pour faire face à ces exigences qui modifient en profondeur notre rapport à l’espace et au temps. C’est pourquoi la question des inégalités de mobilité est selon nous primordiale. De multiples facteurs concourent à l’élaboration d’un projet de mobilité comme à la concrétisation du déplacement. Les conditions d’accès aux systèmes techniques des transports, la qualité de l’information, l’aptitude à se mouvoir et à repérer dans l’espace interviennent dans les pratiques effectives, au même titre que des facteurs de nature différente comme les valeurs, les aspirations, les appréhensions et les craintes [Begag, 1991, 1995 ; Harzo et al., 2001 ; Kaufmann, 2001 ; Le Breton, 2004a ; Orfeuil, 2004]. Dans le cadre de notre thèse, nous nous concentrerons plus modestement sur le rôle du revenu au sein de cet ensemble explicatif.