2.1. Identifier, mesurer et interpréter les inégalités économiques de mobilité

Pour mieux comprendre les difficultés qu’éprouve la socio-économie des transports à analyser les inégalités en matière de mobilité, il suffit d’envisager les problèmes que peuvent soulever l’identification, la mesure et la correction de situations inégalitaires en l’absence de normes concrètes concernant les niveaux et les comportements de mobilité. En effet, le déplacement n’est qu’exceptionnellement un but en soi, il s’agit d’un bien intermédiaire dont la consommation est nécessaire à la réalisation d’activités économiques et sociales. D’importants niveaux de mobilité peuvent être tout autant l’expression d’un mode de vie contraint par la dispersion spatiale des activités et un choix résidentiel limité, que l’expression d’un mode de vie non contraint par les ressources financières, voire l’expression de l’aspiration à un mode de vie valorisant fortement la capacité à se mouvoir dans l’espace. De la même manière, une faible mobilité peut être tout autant l’expression d’un mode de vie contraint par de faibles aptitudes à la mobilité, liées par exemple au manque de moyens financiers, que l’expression d’un mode de vie non contraint, caractérisé par la centralité des lieux d’emploi et de résidence et organisé autour de relations de proximité.

Cette difficulté méthodologique, inhérente aux caractéristiques du bien transport, explique probablement que la plupart des recherches qui se proposent de prendre en compte la dimension sociale de la mobilité, circonscrivent souvent leur analyse à la mobilité d’individus rencontrant des difficultés dans d’autres dimensions de leur vie (précarité familiale et professionnelle, pauvreté, résidants des quartiers « sensibles ») et pour lesquels la mobilité peut être un obstacle supplémentaire. Les inégalités sont assez rarement envisagées dans leur globalité et les comparaisons entre groupes socio-démographiques ou entre classes de revenu demeurent peu fréquentes. C’est pourtant l’orientation que nous souhaitons donner à ce travail.

La mobilité permet de conjuguer les opportunités et les contraintes de la vie quotidienne. Elle résulte des pratiques sociales, dictées et structurées par les exigences de la vie professionnelle, personnelle ou familiale et par les aspirations de chacun. Elle dépend également du système de transport (accès aux modes, développement des infrastructures…) et de la structure spatiale qui sert de support au déplacement (centre-ville, zone péri-urbaine, campagne…). Aussi, semble-t-il impossible de fixer des critères quantitatifs précis en termes de fréquence, de distance ou de vitesse de déplacement afin de hiérarchiser les situations. Nous partons de l’hypothèse qu’en raisonnant sur des groupes socio-démographiques relativement homogènes au regard du cycle de vie et de l’activité professionnelle, il est possible d’espérer obtenir une bonne appréciation de ce qui relève du niveau de vie dans les écarts de mobilité observés. L’interprétation des inégalités de mobilité est à resituer dans le cadre de la diversité des modes de vie. La mobilité n’étant qu’un vecteur permettant d’articuler des activités situées dans l’espace et dans le temps, elle dépend de facteurs individuels (âge, activité, caractéristiques du ménage …) et collectifs (horaires de travail, d’achats, vacances scolaires…). Ainsi, les déplacements s’ordonnent selon des critères qui n’échappent pas à une certaine logique organisationnelle et qu’une approche selon la position dans le cycle de vie permettra de rationaliser.

En l’absence de définition stabilisée, les inégalités de mobilité seront donc définies comme les différences de niveaux et de comportements de mobilité entre les individus situés en bas de l’échelle sociale et ceux qui se situent au-dessus. La position sociale est une caractéristique qui ne peut être mesurée qu’imparfaitement à l’aide de divers critères de substitution tels que le revenu, le degré d’instruction, la profession, le patrimoine… Compte tenu des informations dont nous disposons, la position sociale des individus sera appréhendée grâce au revenu par unité de consommation (uc) du ménage de rattachement. Croisée avec le niveau d’études, cette information aurait permis d’obtenir une meilleure approximation de la situation sociale. Cependant, une fois la position dans le cycle de vie déterminée, cette opération conduit à des sous-groupes de faible taille et donc peu représentatifs.

L’identification des inégalités de mobilité consistera donc à mesurer des écarts de mobilité entre des individus classés selon leur revenu par UC et à mettre en parallèle le degré de concentration de ces niveaux avec la concentration des revenus. Pour ce faire deux types d’indicateurs seront mobilisés : le rapport entre quintiles extrêmes (Q5/Q1) et les indices de concentration calculés sur les niveaux de mobilité en classant les individus par ordre croissant de revenu par uc. Nous serons alors en mesure d’analyser comment les inégalités qui affectent la distribution des revenus, se répercutent sur les niveaux et les comportements de mobilité. Le processus de co-détermination entre mobilité et position sociale sera principalement abordé dans ce sens.