2.2. Intégrer les différentes composantes de la mobilité

Notre approche s’intéresse à la mobilité effective, c’est-à-dire aux déplacements réalisés et non au potentiel de mobilité qui peut ou non être exploité du fait des barrières financières mais également physiques (handicaps, maladie…) ou psychologiques, qu’il nous est impossible de prendre en compte à partir des enquêtes de mobilité classiques (enquêtes ménages déplacements, enquêtes nationales transport). L’attention est donc portée sur le résultat des arbitrages individuels ou collectifs conduisant à la concrétisation du déplacement.

Les études sur la mobilité distinguent généralement les flux en fonction de la portée spatiale du déplacement et de son inscription temporelle. Partant de ces deux dimensions, la typologie établie par Kaufmann [1999] propose quatre types de mobilités, qui renvoient à des rythmes sociaux, à des lieux et à des temporalités distinctes (Tableau 1). Le bassin de vie sert de cadre de référence spatiale, tandis que l’intention de retour à court terme au domicile est utilisée comme unité temporelle. Notre recherche s’intéresse à la mobilité non définitive, c’est-à-dire aux déplacements circulaires, s’inscrivant dans des temporalités plus ou moins courtes (mobilité quotidienne, voyage), quel que soit l’espace dans lequel elles se déroulent. Cette mobilité « réversible » permet la réalisation d’activités répétitives ou plus épisodiques.

Tableau 1 : Le système de mobilité spatiale
  Mouvement interne
à un bassin de vie
Mouvement vers l’extérieur
d’un bassin de vie
Mouvement cyclique Mobilité quotidienne Voyage
Mouvement linéaire Mobilité résidentielle Migration

Source : Kaufmann [1999]

Les différents types de déplacements entretiennent des liens étroits et forment un système. Entre 1982 et 1993, dans un contexte de croissance de long terme des mobilités, les enquêtes périodiques mettent en évidence des résultats assez contrastés concernant l’évolution des segments de la mobilité. D’une part on observe un rattrapage des niveaux de mobilité locale de semaine, des catégories modestes par rapport aux plus aisées et cela malgré la faible croissance des revenus [Gallez et al., 1997]. D’autre part, la mobilité annuelle de longue distance enregistre un dynamisme important qui s’accompagne d’un élargissement des écarts entre individus opposés dans la hiérarchie des revenus [Orfeuil et Soleyret, 2002 ; Potier et Zegel, 2002 Rouquette, 2001]. Pour rendre compte des logiques inégalitaires, parfois divergentes qui peuvent exister sur les segments de la mobilité, nous chercherons à mettre en lumière le rôle du revenu sur les pratiques effectives de mobilité quotidienne, de week-end et de longue distance, telles qu’elles peuvent être observées grâce aux enquêtes statistiques sur la mobilité (enquête ménages déplacements, enquête nationale transport).

Dans la logique de ce qui vient d’être énoncé, nous nous efforcerons donc de fournir un schéma d’analyse permettant de repérer et d’identifier les formes d’inégalités de mobilité qui prennent place à différentes échelles spatio-temporelles de réalisation des déplacements. Notre objectif est de fournir un système explicatif du rôle du revenu sur les mobilités. Pour cela nous comparerons à la fois les niveaux (nombre de déplacements, distances, budget-temps, vitesse) et les comportements de déplacements (mode, motif, répartition spatiale…) selon le niveau de vie. L’analyse conjointe des pratiques quotidiennes, de week-end et de longue distance permettra de tester la robustesse des résultats obtenus et d’envisager, le cas échant, d’éventuelles articulations entre ces formes d’inégalités. La production de résultats empiriques permettra alors de démontrer et d’asseoir sur des bases communes, des effets parfois connus ou intuitivement identifiés mais issus d’études portant sur des catégories spécifiques de la population.

Pour répondre à nos objectifs de départ, nous avons organisé notre travail autour de deux grandes parties : l’une théorique et factuelle permettant de poser notre cadre de réflexion afin de préciser notre problématique et de présenter les outils mobilisés pour y répondre (Chapitres 1 et 2), l’autre empirique proposant d’identifier et de mesurer l’impact du revenu sur l’accès à la mobilité motorisée (Chapitre 3) et sur les pratiques de mobilité de semaine, de fin de semaine et de longue distance (Chapitres 4, 5 et 6).

Dans le premier chapitre de la thèse, nous avons effectué une synthèse bibliographique afin de définir le socle théorique et le contexte factuel de notre réflexion. Cette première étape nous conduira à préciser les notions d’inégalité et d’équité à travers notamment un survol rapide des théories de la justice sociale. Nous exposerons ensuite les principales transformations sociétales en lien avec notre recherche. Comment ont évolué les inégalités socio-économiques au cours des dernières décennies ? Que peut-on dire des inégalités économiques, sociales et spatiales ? Quelles sont les principales transformations qui caractérisent l’évolution des pratiques de mobilité ? En quoi les capacités de mouvement sont aujourd’hui indispensables à l’insertion des individus ? A l’issue de ce premier chapitre nous serons en mesure de préciser notre questionnement de départ. Dans le chapitre 2, après avoir situé notre travail par rapport aux recherches réalisées sur le sujet, nous reviendrons plus en détail sur les orientations de notre approche empirique ainsi que sur le choix des données et les méthodes utilisées.

Parce que l’automobile est un déterminant essentiel des pratiques de déplacement, nous consacrerons le troisième chapitre à l’analyse des inégalités économiques qui pèsent sur les différentes dimensions constitutives de l’accès à la mobilité motorisée. Nous analyserons les inégalités d’équipement et de motorisation des ménages, les inégalités d’accès au permis de conduire et à la conduite automobile. Dans les chapitres quatre, cinq et six nous étudions respectivement les inégalités de pratiques de mobilité de semaine, de week-end et de longue distance. Ces chapitres présentent en détail le rôle du revenu en tenant compte des échelles spatiales et temporelles dans lesquels s’inscrivent les déplacements. Ils permettent ainsi de différencier l’impact du revenu sur les schémas de mobilité et offre des visions complémentaires des logiques inégalitaires à l’œuvre. Cette approche propose de cerner la mobilité dans toute sa diversité et d’enrichir nos connaissances sur les mobilités de fin de semaine et de longue distance qui demeurent relativement peu étudiées en dépit de l’importance croissance qu’occupent les mobilités de loisirs et de tourisme.

A l’issue de ce travail nous proposons en conclusion une lecture transversale des différents chapitres de la thèse afin d’articuler les principaux résultats de notre analyse.