1.1.2. L’égalité dans les sociétés démocratiques modernes

Dans les sociétés démocratiques le concept d’égalité se décline selon trois principes : l’égalité des droits, l’égalité des situations et l’égalité des chances. L’égalité devant la loi stipule que les mêmes droits sont garantis pour tous les individus. Face au constat d’inégalités économiques et sociales bien réelles, cette conception juridique de l’égalité a révélé à plusieurs reprises son caractère purement formel.

L’égalité des situations consiste à rechercher une pure égalité arithmétique des résultats entre les individus. Compte tenu des effets pervers encourus par la poursuite d’un objectif d’uniformisation réelle des situations (désincitation au travail, réduction des libertés individuelles et collectives …), le débat s’est plutôt orienté sur le caractère plus ou moins excessif des inégalités de situations : de trop grandes disparités étant susceptibles de nuire à la démocratie.

Ainsi afin de préciser les domaines où l’égalité devrait s’appliquer de manière effective, ces principes ont été progressivement complétés par celui d’égalité des chances dans les textes législatifs et les discours politiques 1 . La notion de « chance », très subjective, laisse une large part à l’interprétation. Dans les faits, elle suppose une égalisation des conditions de départ offertes à chaque individu afin de garantir des opportunités identiques pour tous d’accéder aux différentes positions sociales. Le respect du principe d’égalité des chances peut se traduire par la prise en compte des différences de situation qui s’expriment à travers les caractéristiques de l’individu (âge, sexe, aptitudes physiques …) et de son environnement (milieu social, culturel ou affectif…). De fait ce principe peut entraîner une politique de redistribution susceptible de compenser les désavantages de certaines catégories sociales grâce à l’instauration d’une politique de discrimination positive à leur égard.

Dans son application, comme dans son principe même, l’égalité des chances reste controversée car pour certains elle « […] consiste à substituer à la conception d’un droit l’idée d’une chance » [Koubi, 2003, p. 124]. Il est en effet souvent difficile de faire la part entre ce qui relève de l’investissement personnel et de la responsabilité individuelle, supposés générer des inégalités légitimes et ce qui relève les attributs liés à l’origine sociale, si bien que pour certains, l’évocation d’une égalité des chances « de principe » permet de légitimer les inégalités de situations bien réelles tout en faisant peser sur les seuls individus le poids des inégalités de résultats [Bihr, 2003 ; Elbaum, 1995].

Le non-respect de l’un des trois critères d’égalité évoqués précédemment permet-il de définir l’inégalité ? Si l’égalité des droits et l’égalité des chances apparaissent comme des revendications de plus en plus présentes et légitimes, nous avons également souligné que le principe d’égalité des situations renvoyait davantage à la recherche d’un idéal égalitaire qu’à l’égalisation concrète des situations individuelles, peu compatible avec notre organisation sociale. Le non-respect du critère d’égalité des chances pose plus de difficultés que l’inégalité définie par la norme juridique car elle suppose la définition des situations jugées équitables. Il s’agit d’un problème complexe qui renvoie à une conception d’ensemble du « bien » social [Fleurbaey, 2003a]. La prédominance du principe d’égalité des chances tend à remplacer progressivement la notion d’égalité par celle d’équité. Cela implique l’adoption d’un point de vue normatif dans l’évaluation des situations.

Notes
1.

En France, cette expression est issue des débats sur les mécanismes générateurs de l’inégalité scolaire. Boudon [1979] oppose ainsi l’inégalité des chances (qui prend en compte les conditions de départ) et l’inégalité des résultats.