1.1.3. Garantir l’équité : un objectif central des politiques de lutte contre les inégalités

L’équité est une notion subjective : elle ne correspond pas au contenu d’une norme et n’impose aucun comportement précis. La notion d’équité indique qu’une situation est acceptable ou valable, non parce qu’elle est conforme à une norme, mais parce qu’elle est conforme au sentiment commun de ce que doit être la justice. Selon le dictionnaire philosophique de Lalande [1992] : « L’équité est le sentiment sûr et spontané du juste et de l’injuste ; en tant surtout qu’il se manifeste dans l’appréciation d’un cas concret et particulier ». Le dictionnaire philosophique de Foulquié [1992] propose la définition suivante de l’équité : « caractère de ce qui est égal, conforme à l’idéal de justice. Justice naturelle, supérieure à la justice déterminée par la loi positive et plus souple qu’elle ».

La notion d’équité, aujourd’hui centrale dans les discours des politiques et des décideurs, légitime l’idée d’un traitement différentiel des membres de la société et permet par exemple de donner plus à ceux qui ont moins. Elle ouvre la porte à un traitement plus individualisé des situations qui s’avère plus juste dans certains cas. En d’autres termes, la situation équitable, qui tolère certaines inégalités, peut être moins inégalitaire que l’approche strictement égalitaire. Mais le principe d’équité suscite aussi de nombreux débats car en montrant ce qui doit être corrigé, il légitime ce qui peut rester inégal. Le recours systématique à l’équité est donc parfois dénoncé car cette notion remet en cause la conception républicaine égalitariste de la société et laisse courir le risque d’un modèle individualiste 1 [Wieviorka, 1997]. Pour Fitoussi et Rosanvallon [1996], les notions d’égalité et d’équité doivent être appréhendées en termes de complémentarité « […] l’équité ne s’oppose pas à l’égalité. Elle suppose au contraire la recherche de critères d’égalité plus exigeants » [Fitoussi et Rosanvallon, 1996, p. 99].

Si les politiques contemporaines de lutte contre les inégalités sociales se réfèrent invariablement à la notion d’équité, peu en définissent clairement les contours. Afin de limiter les dérives subjectives concernant l’appréciation des situations équitables 2 , il est d’usage de se référer aux théories de la justice sociale qui offrent un fondement théorique à la définition de l’équité. Toutes ne s’accordent pas sur le choix du (ou des critères) d’égalité mais toutes ont en commun de vouloir l’égalité de quelque chose, « ce « quelque chose » jouant un rôle majeur dans leur cadre théorique respectif » [Sen, 2000, p. 9]. En définissant ce qu’il convient d’égaliser, ces théories impliquent au sens causal l’acceptation d’inégalités dans d’autres dimensions [Fitoussi, 1995]. En ce sens, l’équité permet de définir les inégalités justes et celles qu’il convient de corriger. La présentation synthétique des principaux courants de pensée en matière de justice sociale permettra d’asseoir sur des bases théoriques solides le contenu de la notion d’équité. Nous envisageons ensuite comment ces apports peuvent constituer un cadre normatif pour évaluer les inégalités en matière de mobilité.

Notes
1.

Signalons à ce propos, les controverses suscitées par les travaux du groupe présidé par Minc [1994] dans le cadre du rapport pour le Commissariat général du plan « La France de l’an 2000 ». Dans le contexte économique du début des années quatre-vingt-dix, marqué par le ralentissement de la croissance et la priorité donnée aux objectifs d’efficacité économique, les conclusions très libérales du rapport encouragent ouvertement l’adoption du principe d’équité et l’abandon de l’aspiration égalitaire, fondement de la conception française de l’Etat-providence, jugée inefficace.

2.

Comme le soulignent Bonnafous et Masson [1999, p. 26] : « (…) on ne peut, cependant, qu’être frappé par la pauvreté du fondement donné à la revendication d’équité et son caractère typiquement subjectif, ce qui réduit considérablement son intérêt pour tous ceux qui ne partagent pas spontanément cette sorte d’intuition éthique brute sans justification philosophique et qui souhaitent pouvoir établir leurs opinions dans ce domaine sur des bases plus ou moins argumentées ».