1.2.2.1. Biens premiers et principes de justice

Pour Rawls la justice doit être la qualité première des institutions sociales. C’est elle qui régit la répartition des biens sociaux premiers. Ces biens correspondent aux ressources élémentaires nécessaires à la satisfaction de n’importe quel type de préférences. Il propose une liste comportant cinq catégories de biens premiers sociaux : a) les libertés fondamentales, b) les opportunités offertes aux individus, c) les pouvoirs et privilèges, d) les revenus et la richesse, ainsi que, e) les bases sociales du respect de soi 2 . Ces biens sont qualifiés de « premiers » car ils sont désirés par toutes personnes rationnelles et de « sociaux » parce qu’ils sont directement sous le contrôle des institutions économiques, sociales et politiques de la société.

Pour définir les principes de justice selon lesquels ces biens doivent être distribués, Rawls envisage une situation hypothétique dans laquelle chaque agent serait placé sous un voile d’ignorance. Sous ce voile chacun ignore sa place dans la société, ses qualifications, ses dons naturels ou encore ses traits caractéristiques. Les individus ont tous le même poids, ils diffèrent entre eux mais sont égaux dans l’ignorance. Ce subterfuge permet à Rawls de définir un contrat social à travers lequel les individus s’accordent de manière consensuelle sur un système commun de principes de justice. Ceux-ci sont considérés comme rationnels, ils ne reposent ni sur la bienveillance ni sur la malveillance des individus [Cazenave et Morrisson, 1978]. Deux principes de justice sont issus de cette négociation 3 .

  1. Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat de libertés de base pour tous, qui soit compatible avec un même système de liberté pour tous (principe d’égale liberté) ;
  2. Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions :
  • elles doivent être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste égalité des chances (principe d’égalité des chances),
  • elles doivent procurées le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société (principe de différence).

Le premier principe régit la distribution des biens de la première catégorie (a). Le principe d’égalité des chances régit la distribution des opportunités (biens de la deuxième catégorie (b)), tandis que le principe de différence énonce que les avantages socio-économiques (c,d,e) doivent être distribués à l’avantage des individus les plus défavorisés [Maguain, 2000].

L’ordre entre ces principes est lexical  : c’est-à-dire que le principe d’égale liberté est prioritaire par rapport au principe d’égalité des chances, lequel est lui-même prioritaire par rapport au principe de différence. Ainsi, il n’est pas envisageable que l’amélioration de la situation des plus défavorisés se réalise au détriment des libertés fondamentales ou conduise à une restriction du principe d’égalité des chances. Ajoutons enfin que Rawls admet une conception relativement large des individus « les plus défavorisés » puisqu’il y inclut les ouvriers non qualifiés comme les individus disposant de moins de la moitié du revenu médian ce qui éloigne sa théorie d’une conception chrétienne de la charité [Meuret, 1999].

Notes
2.

Les trois dernières catégories de biens sociaux premiers correspondent aux avantages socio-économiques que les individus retirent de leur position sociale.

3.

Nous reprenons la définition des principes proposée dans Meuret [1999, p. 38] issue de la traduction française de Rawls de 1989 car cette définition intègre les modifications apportées par Rawls entre 1971 et 1982 (date de première parution en français).