1.2.2.2. Priorité aux plus défavorisés

Selon la théorie rawlsienne les individus doivent disposer des même libertés de base et d’une juste égalité de chances. La question de la responsabilité individuelle n’est pas éludée [Fleurbaey, 2003b]. La société doit répartir de manière équitable les moyens dont les individus ont besoin pour mener leur vie, mais chacun reste maître de son propre destin. Les inégalités qui résultent d’une concurrence loyale entre les individus sont justes.

De façon plus originale, le principe de différence, conduit à rendre les inégalités acceptables si elles concernent la répartition des avantages socio-économiques (c, d, e) et dans la mesure où elles bénéficient aux plus défavorisés. Cette répartition doit se faire selon le principe du maximin qui consiste à maximiser ce qu’une personne en position minimale peut obtenir. Ce critère, formulée sous la forme d’une priorité accordée aux défavorisés, intègre une articulation des objectifs d’efficacité et d’égalité.

Le principe de différence est cependant relativement complexe à mettre en œuvre car il suppose d’évaluer l’ensemble du système social et économique et la place des plus défavorisés dans ce système lorsque l’on introduit une modification de son fonctionnement. Dans les faits, le principe de différence peut justifier le mode de pensée et la rhétorique néolibérale 1 , ce qui explique l’ambiguïté de la pensée de Rawls et sa relative mise à distance par les penseurs situés à gauche de l’échiquier politique en France surtout.

Rawls reconnaît néanmoins l’existence d’institutions fiscales et redistributives permettant d’assurer la réduction des inégalités de fortune grâce à l’impôt (sur les successions, les donations…). Ces institutions doivent également garantir un minimum social par le versement d’allocations familiales, d’assurances maladie ou chômage ou grâce au versement d’un complément de revenu sous la forme d’un impôt négatif sur le revenu [Euzéby, 2004]. Les principes de justice rawlsiens supposent également la création d’institutions politiques et juridiques chargées de garantir l’égalité des libertés. Rawls admet aussi l’existence d’institutions sociales afin de corriger les inégalités de positions initiales. Cela passe par des mesures en faveur de l’éducation, chargée de garantir l’égalité des chances. Ainsi le principe de différence est à l’origine de la politique de discrimination positive qui s’est illustrée en France, dans le domaine de l’éducation, par la détermination des zones d’éducation prioritaire (ZEP).

Par son contenu, mais également par les débats suscités, la théorie de la justice comme équité a été l’objet d’une production intense. Plusieurs critiques lui ont été adressées, notamment le fait que Rawls ne s’intéresse pas aux biens premiers naturels (santé, talents), ce qui ne lui permet pas d’envisager de compensation en cas de handicaps. Des auteurs comme Dworkin [1981] et Van Parijs [1991] argumentent en faveur de l’égalisation des ressources étendues, aux talents et aux handicaps par exemple. En outre, Rawls envisage une juste répartition des moyens permettant d’accéder au bien-être sans se préoccuper de l’usage que les individus font de ces biens compte tenu de leurs aptitudes. Cet aspect est l’objet des prolongements proposés par Sen.

Notes
1.

La théorie rawlsienne soutient par exemple « […] qu’au-delà d’un certain point, une réduction supplémentaire de l’inégalité des revenus […] peut, en réalité se faire au détriment des moins bien lotis. Tout simplement à cause de l’effet de désincitation qu’exercerait une trop forte égalité sur les plus productifs, les plus créatifs et les plus talentueux. […] dans ce cas une société à vocation « trop » égalitaire nuirait finalement aux moins favorisés. Des citoyens « libres et égaux » choisiront donc la société à moindre imposition au nom même du principe de différence » [Arnsperger, 2003, pp. 5-6].