1.3.1. La nécessité d’améliorer les outils d’évaluation classiques

En économie des transports les méthodes d’évaluation des projets s’inspirent largement des travaux de Dupuit (1844) et fondent les choix et les décisions publiques sur l’application des concepts de surplus et d’utilité collective. Le critère d’équité sociale est en l’état très secondaire par rapport au critère d’efficacité économique. Sur ce thème, l’attention est essentiellement portée sur les préconisations des approches basées sur une vision utilitariste des projets. Or dans ce contexte théorique on ne tient pas compte des gagnants et des perdants puisque seul le résultat compte. En dépit des améliorations apportées au modèle du calcul économique standard, en particulier concernant l’internalisation des coûts externes environnementaux [Boiteux et Baumstark, 2001], ce type d’approches admet des limites qui en réduisent les conditions pratiques de mise en application.

La recherche d’une plus grande rationalité économique dans les choix publics aboutit parfois à des propositions peu acceptables au plan politique ou social [Abraham et Piron, 2001]. En effet « l’équité se présente comme une exigence à laquelle il est de plus en plus fait référence dans les sociétés industrialisées, au point d’être, au moins dans les discours, préférée aux principes économiques qui visent essentiellement l’efficience via la maximisation du surplus » [Viegas et Macario, 2001, p. 15]. Si les économistes sont conscients de la nécessité de prendre en compte ces préoccupations, force est de constater qu’ils manquent d’outils pour le faire. De plus la forte subjectivité attachée à la notion d’équité, laisse redouter de possibles surenchères concernant l’évaluation des situations équitables au risque de remettre en cause l’efficacité des projets [Giblin, 2004].

Au plan théorique, l’intégration des critères d’équité dans les décisions publiques revient souvent à opposer les objectifs d’efficacité économique et ceux d’équité sociale [Bonnafous et Masson, 1999 ; Langmyhr, 1997 ; Rosenbloom et Altshuler, 1977 ; Truelove, 1993]. Cependant des approches plus pragmatiques soulignent que dans les faits « […] une perception d’iniquité peut conduire à des sentiments de remords (si on en est bénéficiaire) ou de rage (si les autres sont perçus comme étant favorisés) dont les effets peuvent se révéler contre-productifs » [Viegas et Macario, 2001, p. 15]. Les échecs rencontrés par divers projets ayant négligé la dimension « équitable » de leur impact, illustrent les risques de rejet de la part de la population. On se réfèrera par exemple à l’expérience du boulevard périphérique nord de Lyon (TEO) [Abraham, 2001 ; Raux et Souche, 2001].

Les récents développements des théories de justice sociale pourraient désormais fournir un cadre d’analyse alternatif aux approches qui étaient jusqu’alors focalisées sur les critères d’évaluation utilitaristes, ignorant très largement les problèmes de redistribution. En l’état, ils offrent un ancrage théorique pertinent pour déterminer les modalités d’une « juste » répartition des biens et des services. Nous verrons cependant que seules quelques approches ont tenté de traduire les principes de justice issus des théories modernes dans le domaine des transports.