1.3.2. La prise en compte du principe d’équité

Le concept d’équité suppose une répartition « juste » des coûts et des gains liés aux politiques de transport. Il est abordé dans divers travaux [Banister, 1993 ; Litman, 1999 ; Raux et Souche, 2001 ; Truelove, 1993 ; Viegas et Macario, 2001]. On y trouve deux principes d’équité récurrents :

Certains auteurs distinguent un troisième type d’équité. Pour Litman [1999], il s’agit de l’équité verticale par rapport aux besoins de mobilité (équivalente aux besoins de base) qui implique la garantie d’un niveau minimum d’accès au transport pour l’ensemble de la population. D’autres auteurs insistent sur l’équité spatiale (ou équité territoriale) [Bonnafous et Masson, 1999 ; Raux et Souche, 2001 ; Thisse, 1994 ; Truelove, 1993]. Il s’agit d’un principe fondateur de la politique d’aménagement du territoire, qui consiste « […] à donner des chances comparables de développement à chacun des territoires urbains ou régionaux en résorbant du mieux possible leur déficit d’accessibilité» [Bonnafous et Masson, 1999, p. 3]. Raux et Souche [2001] proposent une acception de l’équité territoriale qui vise à rendre effectif le droit au transport inscrit dans la LOTI, au plan spatial à partir du concept d’accessibilité et en termes de tarification du service. Selon nous, ces notions peuvent in fine être rapprochée de celle de l’équité verticale car elles insistent sur l’atténuation des disparités géographiques pour atteindre une « justice spatiale » [Brunet et al., 1993].

Si les conceptions de l’équité sont variées, les voies pour parvenir à un meilleur degré de justice sociale dans la distribution des services de transport le sont également. Chitwood [1974, cité par Truelove, 1993] et Rosenbloom et Altshuler [1977] réduisent la diversité des possibilités à trois solutions « basiques »  :

L’évolution des valeurs au sein des sociétés démocratiques conduisent progressivement à privilégier une redistribution progressive, soit les modes de distribution (2) et (3). Une synthèse sur les principes d’équité et des exemples sur les moyens pour y parvenir dans le secteur du transport est fournie par Banister [1993] (Tableau 2).

Tableau 2 : Les principes d’équité dans le transport

Source : Banister, 1993

La prise en compte de l’équité dans les processus décisionnels a fait l’objet de quelques travaux. Abraham [2001] propose ainsi d’intégrer dans le calcul économique un nouvel indicateur rendant compte du sentiment d’amertume qu’éprouvent les exclus du projet. L’amertume correspond à l’écart entre le niveau du péage et ce que l’usager potentiel aurait été disposé à payer : « l'amertume, c'est, pour l'usager exclu, ce qui lui est réclamé « en trop ». Il y a vraisemblablement une relation étroite entre l'amertume, telle que définie ci-dessus, et la rancœur ou le mécontentement des exclus, ce mécontentement s’exprimant de façon d’autant plus vive que la consommation concernée est considérée comme un droit » [Abraham, 2001, p. 62]. Le calcul économique devrait dorénavant prendre en compte à la fois le surplus des usagers qui empruntent la nouvelle infrastructure et l’amertume de ceux qui en sont exclus. De même le programme de recherche PATS formule un certain nombre de préconisations afin d’intégrer le concept d’équité concernant les questions de redevances et de taxation [Viegas et Macario, 2001].

Encore peu de recherches proposent une traduction directe des principes de justice issus du renouveau des théories anglo-saxonnes. A partir d’un indicateur d’accessibilité inspiré par Koenig (1974), Bonnafous et Masson [1999] tentent d’intégrer un critère d’équité spatiale dans l’évaluation des projets en se fondant sur les propositions de Rawls. La référence aux principes de la justice comme équité, revient à garantir l’accessibilité aux lieux (principe de liberté) tout en accordant une priorité aux individus (ou aux territoires) les plus défavorisés (principe de différence). Ce cadre théorique conduit à maximiser la situation des plus défavorisés et justifie les politiques de « discrimination positive ». Raux et Souche [2001] rapprochent les principes de justice rawlsiens des critères d’équité applicables dans le champ des transports. Les critères d’équité territoriale, horizontale et verticale sont ainsi respectivement mis en parallèle avec le principe de liberté, le principe d’égalité des chances et le principe de différence. Notons enfin que la référence explicite à la théorie de Sen apparaît plus rarement encore dans les recherches dédiées aux transports, à l’exception des travaux de Purwanto [2004]. Cela tient probablement au fait qu’elle pose d’importantes difficultés de traduction.

Au bilan, la plupart des approches qui tentent d’intégrer les critères d’équité sociale dans les choix publics demeurent assez théoriques, dans leur formulation comme dans leurs préconisations. Cela résulte vraisemblablement de l’épineux problème que soulève la mise en application concrète, au niveau sectoriel, de principes universalistes souvent abstraits.