2.1.2. Sur longue période : réduction des inégalités

Les travaux de Piketty [2001] permettent de cerner les principales évolutions de long terme qui caractérisent la distribution des revenus déclarés et du patrimoine en France. Durant la forte croissance de la période 1948-1978, le revenu moyen déclaré par foyer fiscal a été multiplié par un coefficient de l’ordre de 4,5. Cette amélioration du niveau de vie des ménages s’est accompagnée d’une réduction significative des inégalités affectant la distribution des revenus 1 . Cette réduction des inégalités de revenu sur longue période s’est réalisée de manière très concentrée « aucune compression de l’écart séparant les 10 % des foyers les mieux lotis de la moyenne des foyers n’a eu lieu au cours de la seconde moitié du XX ème siècle, et l’intégralité de la compression survenue entre les deux extrémités du siècle est due à la période 1914-1945 » [Piketty, 2001, p. 145]. Elle est essentiellement liée à l’effondrement des revenus du centile supérieur. Plus précisément, elle résulte de la forte diminution des revenus du capital, perçus par les très hauts revenus - « les 200 familles - au cours du siècle.

Deux phénomènes permettent de comprendre l’effondrement des revenus du capital de la classe des rentiers pendant la 1ère moitié du XXème siècle 2 . Le premier, de nature conjoncturelle, est lié à l’inflation, aux faillites des crises financières des années vingt et trente et à la destruction physique d’une partie du patrimoine durant les deux guerres mondiales. Le deuxième, de nature structurelle, est consécutif de l’instauration de l’impôt progressif sur le revenu qui a d’une part permis de réduire les écarts de revenus du fait même de sa progressivité et d’autre part qui a entravé les capacités d’accumulation des personnes les plus fortunées. A cet impôt sur le revenu s’est ajouté l’impôt sur les successions qui a limité le montant du patrimoine transmis d’une génération à l’autre.

Parallèlement, alors que le salaire moyen a été multiplié par un coefficient supérieur à celui des revenus (de l’ordre de 5), l’analyse des inégalités de salaires met en évidence une très grande stabilité de la hiérarchie salariale. Sur le court terme on observe bien des phases d’élargissement des écarts mais celles-ci sont assez rapidement compensées par des phases de compression. Cette stabilité résulte du maintien des écarts de formations et de qualifications mais probablement aussi d’un relatif consensus politique et social à l’égard de la hiérarchie salariale.

La dynamique des inégalités au cours du XXème siècle en France se caractérise donc par une forte réduction des inégalités patrimoniales parallèlement à une stabilité des inégalités de salaires qui ont permis au total une diminution des inégalités de niveau de vie essentiellement durant la période 1914-1945. Ces conclusions peuvent être généralisées à l’ensemble des pays développés (pour lesquels des statistiques sont disponibles). Des travaux portant sur le court ou moyen terme montrent des évolutions plus disparates que nous proposons de présenter ci-dessous.

Notes
1.

Au début du siècle le décile supérieur disposait d’un revenu moyen 4,5 fois plus élevé que le revenu moyen de la population, tandis qu’à la fin du siècle cet écart est proche de 3,2-3,3.

2.

«  […] Cette forte diminution de la concentration des patrimoines est un phénomène qui a profondément marqué l’évolution des représentations sociales de l’inégalité », depuis 1945 la figure du « rentier » a été remplacée par celle du « cadre » [Piketty, 2001, p. 164].