2.2.2.1. Des inégalités face au système scolaire…

Bourdieu et Passeron [1964] ont montré comment le fonctionnement apparemment démocratique du système scolaire contribuait à perpétuer et à légitimer les inégalités initiales entre élèves. L’adoption du « collège unique » en 1975, la mise en place de Zones d’Education Prioritaire (ZEP) dans les années quatre vingt, ainsi que l’allongement de la durée de scolarisation, traduisent une réelle prise de conscience des inégalités des chances de départ entre élèves. Ces mesures n’ont cependant pas permis de faire disparaître les écarts importants de réussite scolaire liés à l’origine sociale.

Entretenue par l’espoir d’une promotion sociale et concomitante avec la montée du chômage, l’augmentation de la demande d’éducation a été un peu plus importante pour les milieux modestes et moyens que pour les milieux supérieurs, ce qui a permis de réduire l’inégalité des chances de réussite scolaire, au moins jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix [Forsé, 1997]. Dans le détail, les parcours demeurent toutefois très différenciés selon les milieux sociaux. Au primaire et au collège les situations d’échec scolaire sont six fois plus fréquentes dans les familles du premier décile que dans celles du dernier décile [Bensaid et al., 2004]. Du collège au lycée, la part des enfants d’ouvriers est en constante diminution, contrairement à la part des enfants de cadres qui croît de la sixième à la terminale 1 .

Les scolarités restent donc marquées par de fortes inégalités sociales, qui sont accentuées au collège par le choix des options et celui de l’établissement. Ces facteurs deviennent stratégiques dans les carrières scolaires et participent activement à l’accentuation des inégalités de départ. On observe ainsi un phénomène de « démocratisation ségrégative » [Duru-Bellat, 2003] qui s’illustre à travers des choix d’orientation socialement typés 2 : les enfants de milieux populaires sont sur-représentés dans les formations professionnelles et technologiques tandis que les enfants de milieux socio-culturels élevés s’orientent vers les voies générales et notamment vers les filières scientifiques. De même dans le supérieur, les filières les plus prestigieuses restent largement réservées aux enfants issus des milieux aisés 3 . Lorsqu’ils poursuivent leurs études au-delà du baccalauréat, les enfants des milieux populaires ont tendance à privilégier les formations courtes même lorsqu’ils réussissent [Galland et Rouault, 1996]. Cette faible démocratisation des filières « nobles » limite ainsi les possibilités d’ascenseur social.

Qu’en est-il de l’usage des titres scolaires acquis ? Des travaux ont montré que les enfants de milieux modestes, rencontraient plus de difficultés que les autres pour valoriser leur diplôme [Forsé, 1997 ; Galland et Rouault, 1996]. Que ce constat soit lié au choix de qualifications moins porteuses ou qu’il résulte des moindres atouts (relationnels, culturels, sociaux) dont disposent les jeunes de milieux modestes, il contribue à maintenir les inégalités de position sociale et à entretenir un sentiment de frustration et d’injustice parmi les rescapés des sélections antérieures. Ainsi, la démocratisation du système éducatif dont les filières professionnelles et technologiques ont été l’un des principaux moteurs, s’est davantage traduite par une transformation des inégalités de scolarité que par une réduction importante des déterminismes sociaux.

Notes
1.

Ainsi, pour la génération née entre 1974 et 1978, 40 % des enfants d’ouvriers ont obtenu leur bac contre 90 % des enfants de cadres [Baudelot, 2003].

2.

« […] Quand l’élève est très bon, ou très faible, les vœux des familles sont uniformément ambitieux, ou au contraire modestes ; mais une forte diversité caractérise les vœux des élèves les plus moyens, structurée avant tout par l’origine sociale » [Duru-Bellat, 2003, p. 56].

3.

L’ouverture des portes de l’université aux enfants d’ouvriers et d’employés est encore très timide : ceux-ci constituent moins d’un quart des effectifs et sont surtout représentés dans le premier cycle universitaire souvent parce qu’ils n’ont pas pu accéder aux filières courtes qui pratiquent une sélection à l’entrée comme les IUT ou les BTS.