2.2.3.1. Division sociale de l’espace urbain

En France 2 , les revenus sont plus élevés dans l’espace urbain que dans l’espace rural. Au sein de l’espace urbain, ce sont les aires urbaines qui concentrent les revenus les plus importants tandis qu’au sein des aires urbaines (exception faite de Paris), les revenus sont en moyenne plus élevés dans les communes périurbaines que dans les pôles urbains. Les inégalités de revenu sont plus importantes dans des pôles urbains et encore plus dans les villes-centre du fait de la plus grande diversité des logements [Rouxel, 2003].

Au sein des grandes métropoles, la localisation résidentielle des ménages se caractérise par des choix de plus en plus exigeants. Si les critères qui motivent ces choix ne sont pas homogènes socialement et culturellement, il reste que la concurrence pour l’occupation des sols, entre ménages ayant des disponibilités financières différentes, conduit à réserver les « meilleures places » aux ménages les plus aisés, reléguant dans les zones les moins attractives les catégories les plus modestes 1  : « la capacité à dominer l’espace, notamment en s’appropriant (matériellement ou symboliquement) les biens rares (publics ou privés) qui s’y trouvent distribués, dépend du capital possédé » [Bourdieu, 1993, p. 257].

Négligeant pendant trop longtemps la dimension spatiale des difficultés socio-économiques, les politiques menées en matière de logement social ont participé à l’accentuation de cette stratification sociale issue du fonctionnement concurrentiel du marché du logement 2 . Ces politiques ont en effet contribué à renforcer la concentration des populations modestes dans les quartiers éloignés du centre et/ou fortement stigmatisés, participant à l’émergence de zones de relégation urbaine. L’inertie qui caractérise les choix de localisation résidentielle étant d’autant plus forte que les revenus sont faibles (choix restreint, difficulté d’accès à la propriété et au marché locatif privé, discrimination…), les ménages modestes se trouvent ainsi plus souvent tributaires d’un logement qu’ils n’ont pas forcément choisi. Pour certains, le lieu d’habitation s’apparente alors à une assignation à résidence.

Néanmoins, la plupart des recherches s’accordent sur le fait que les phénomènes de ségrégation les plus accentués sont d’abord le fait des catégories supérieures. Cette tendance à la concentration des catégories aisées reflète le développement d’un « entre-soi » résidentiel : « (…) la proximité dans l’espace physique permet à la proximité dans l’espace social de produire tous ces effets en facilitant ou en favorisant l’accumulation de capital social et, plus précisément, en permettant de profiter continûment des rencontres à la fois fortuites et prévisibles qu’assure la fréquentation des lieux bien fréquentés » [Bourdieu, 1993, p. 257]. Les stratégies de rapprochement sont choisies afin de bénéficier d’un environnement résidentiel favorable à tout point de vue : aménités urbaines et naturelles, voisinage susceptible d’augmenter les chances de réussite des enfants par l’accès aux meilleurs établissements et la transmission de normes de comportement [Maurin, 2004]. Phénomène émergent, mais bien réel, l’offre scolaire devient aujourd’hui un critère de poids dans les choix de localisation des ménages.

L’embourgeoisement tout à fait significatif des centres urbains au sein des espaces métropolisés constitue le phénomène le plus emblématique de larecomposition sociale du territoire. A ce titre, Guilluy et Noyé [2004] ont judicieusement mis en lumière les processus de « gentrification » qui caractérisent les grandes villes françaises. Ainsi, pour les plus modestes, les situations de concentration sont souvent créées « par défaut » : par la sécession des classes moyennes et supérieures disposant d’un réel choix résidentiel et du fait de la précarisation des classes populaires. Alors que certains évoluent dans un environnement privilégié dont ils tirent profit, d’autres se retrouvent dans les quartiers défavorisés qui cumulent les difficultés (chômage, précarité, échec scolaire…). Dans les Zones Urbaines Sensibles (ZUS) 1 , par exemple le taux de chômage touche plus d’un quart de la population, soit un niveau deux fois plus élevé que dans l’ensemble de la France métropolitaine [Le Toqueux et Moreau, 2002].

L’opposition centre/périphérie ne parvient toutefois pas à restituer la complexité des processus de division sociale de l’espace. Si les centres urbains tendent à se « gentrifier », la périphérie apparaît plus diversifiée. Ces évolutions nous incitent en revanche à considérer les niveaux d’équipement des différents espaces et les conditions d’accès aux ressources, afin d’en pointer les déséquilibres.

Notes
2.

A l’échelle nationale on observe des contrastes prononcés entre régions riches - l’Ile-de-France et l’Alsace- et régions pauvres - Corse, Languedoc Roussillon et Nord-Pas-de-Calais [Rouxel, 2003].

1.

Cependant, les résultats empiriques ne permettent pas de conforter unilatéralement l’accroissement de la ségrégation résidentielle en France au cours des dernières décennies. Pour certains la polarisation sociale de l’espace se serait accentuée alors que pour d’autres elle serait restée la même depuis 20 ans et c’est uniquement la prise de conscience de son ampleur et de ses conséquences qui conduit aujourd’hui à mettre cette question sur le devant de la scène [Maurin, 2004]. Les différences tiennent essentiellement aux questions de méthodes liées à l’échelle spatiale retenue et/ou aux typologies de classification de la population choisies. Les études concluant à une augmentation de la ségrégation résidentielle sont essentiellement des études de quartiers, alors que celles portant sur les communes conduisent généralement à nuancer l’image d’une dualisation urbaine, le mélange social restant la situation la plus courante [Preteceille et al., 2003]. Il reste cependant que la stratification de l’espace est bien réelle [Préteceille, 2003 ; Tabard, 1993 ; Thisse et al., 2004].

2.

La prise en compte de ces effets pervers s’est traduite en 2000 par l’adoption de la loi de Solidarité et de Renouvellement Urbain qui impose dans chaque commune au moins 20 % de logements sociaux dans le but d’aboutir à une répartition un peu plus homogène.

1.

« Les zones urbaines sensibles (ZUS) sont des territoires infra-urbains définis par les pouvoirs publics pour être les cibles prioritaires de la politique de la ville, en fonction des considérations locales liées aux difficultés que connaissent ces territoires. Ainsi 751 zones ont été définies par la loi du 14 novembre 1996 de mise en œuvre du pacte de relance de la politique de la ville » [Le Toqueux et Moreau, 2002, p. 4].