3.2.3. Temporalités, rythmes sociaux et mobilités

Entre 1974 et 1998, chez les hommes comme chez les femmes 1 , les enquêtes « Emploi du temps » de l’INSEE indiquent une diminution du temps de travail et du temps domestique, au profit du temps libre hebdomadaire qui est ainsi passé de 23 à 29 heures. L’augmentation a été particulièrement importante entre 1974 et 1986, depuis cette date elle s’est ralentie. Trois types d’effets rendent compte de la transformation des emplois du temps [Chenu et Herpin, 2002] :

Au regard de ces évolutions, les discours qui préfigurent l’entrée dans une civilisation du loisir et du tourisme méritent d’être nuancés : « (…) on n’assiste pas à une extension générale du temps de loisirs, mais à un déplacement de la charge de travail vers les catégories sociales les plus qualifiées » [Chenu et Herpin, 2002, p. 31-33]. L’augmentation globale du temps libre résulte principalement de l’installation d’un chômage masse qui touche tout particulièrement les catégories populaires : entre 1974 et 1998, le taux de chômage des plus diplômés est ainsi passé de 2,6 % à 9,3 % contre 2,8 % à 24,9 % parmi les moins diplômés. Les plus qualifiés cumulent aujourd’hui, activités professionnelles, associatives, pratiques sportives et culturelles et ont les emplois du temps les plus chargés et les plus variés [Degenne et al., 2002].

Les temporalités et les rythmes sociaux se sont individualisés et pour certains, désynchronisés. La tertiarisation du marché du travail et la multiplication des formes particulières d’emploi (temps partiels, intérim, CDD…) ont introduit une plus grande variabilité dans les rythmes quotidiens. Aujourd’hui, moins d’un tiers des actifs ont des semaines de travail standards 2 (27 % si l’on exclut ceux dont le repos hebdomadaire ne coïncide pas avec le samedi et le dimanche) [Chenu, 2002]. Le degré d’autonomie par rapport aux horaires quotidiens est à la fois corrélé aux qualifications et au statut d’emploi. Les horaires des moins diplômés sont plus matinaux tandis que les plus diplômés ainsi que ceux qui ont de fortes responsabilités dans l’entreprise, travaillent plus tard et prolongent plus souvent leur activité professionnelle chez eux, le soir ou durant le week-end. En outre, les individus ayant les contrats de travail les plus précaires disposent d’une faible marge de manœuvre dans l’organisation de leur emploi du temps. Ainsi, si dans leur globalité « les formes particulières d’emploi ne font pas preuve d’une flexibilité particulière de leur temps de travail » en termes derégularité et de prévisibilité 1 [Cottrell et al., 2002, p. 178], toutes ont cependant en commun une très faible autonomie dans la détermination de leurs horaires.

Si le travail garde un rôle central dans la structuration des emplois du temps et des mobilités, le temps « hors travail » gagne de l’importance et suscite de nouvelles aspirations. Les enquêtes « emploi du temps » et celles sur les « pratiques culturelles des Français » rendent compte du développement des loisirs et du tourisme 2 . Les activités sportives, culturelles, associatives ainsi que les vacances sont l’occasion de nouvelles rencontres. De fait, les modes de sociabilités se diversifient et sont davantage structurés par le « temps libéré ». Les liens sociaux forts, fondés sur la proximité physique et affective, laissent progressivement la place à une insertion sociale basée sur des relations davantage choisies mais peut être aussi plus fragiles.

Au bilan, les différentes sphères de la vie (professionnelle, personnelle, familiale) deviennent plus poreuses et la volonté de mieux les concilier s’affirme au sein de la société. L’apparition de « bureaux des temps » dans plusieurs villes européennes témoigne de ces transformations. Au quotidien, les déplacements sont plus complexes dans leurs chaînages et leur programmation temporelle. Les heures de pointe s’étalent et de nouveaux besoins se manifestent en dehors de ces périodes. L’offre de transports collectifs rencontre plus de difficultés qu’autrefois à répondre à une demande plus diluée qui suppose le maintien d’une qualité de service performante et différenciée tout au long de la journée. Ce contexte semble en effet favorable à la voiture particulière [Bailly, 2001]. Sur le temps long, on observe également une plus grande diversité dans les arbitrages entre temps de travail et vacances. Bien que l’école demeure un puissant régulateur des grandes migrations annuelles, de nouvelles périodicités (excursions, week-ends, courts séjours) apparaissent du fait de la moindre importance des formes traditionnelles de scansion de la vie collective (travail, institutions, religion…).

Notes
1.

L’analyse est circonscrite aux individus urbains, âgés de 18 à 64 ans. Chez les femmes, l’accroissement du temps libre observé en dépit d’une augmentation du taux d’activité, résulte d’une diminution du temps consacré au travail domestique, liée dans un premier temps à une répartition plus équitable des tâches au sein des ménages (entre 1970 et 1986), puis à la modernisation des conditions de vie du foyer (changement des habitudes alimentaires, recours aux services domestiques, électroménager …) (entre 1986 et 1998).

2.

Des horaires standard correspondent à des horaires réguliers diurnes et à une durée du travail proche de la moyenne. Une semaine standard est définie par le cumul de quatre critères : deux jours de repos consécutifs, cinq jours de travail pleins (cinq heures de travail au moins), des horaires entièrement effectués entre 5 h et 23 h (pas de travail de nuit), un horaire hebdomadaire compris entre 35 et 44 h.

1.

A l’exception des intérimaires qui se distinguent très nettement des autres : 48 % n’ont pas d’horaires réguliers d’un mois sur l’autre (contre 28 % des CDI à plein temps) [Cottrell et al., 2002].

2.

Toutefois, si ces pratiques sont en expansion, force est de constater que la 1ère bénéficiaire de l’augmentation du temps libre a été la télévision. En 1999, pour un temps de loisirs et de sociabilité journalier de 4 h 31 les Français passaient en moyenne plus de 2 h devant la télévision [Dumontier et Pan Ké Shon, 1999].